Faut-il exploiter les minerais nichés dans les fonds marins ? Depuis que Donald Trump a signé un décret dans ce sens, au mépris du droit international, la controverse prend de l’ampleur. Romane Lucq, chercheuse spécialisée sur les enjeux maritimes à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), apporte son éclairage sur ce dossier à l’ordre du jour de la 3e conférence des Nations unies sur l’Océan de Nice.

Donald Trump a récemment autorisé l’exploitation minière des fonds marins, ou deep sea mining. Pourquoi cette décision maintenant ?

Romane Lucq : Les fonds marins sont très convoités car certaines formations géologiques, les nodules polymétalliques, concentrent des métaux stratégiques en quantité, comme le manganèse, le cuivre, le fer ou encore le nickel. Dans le contexte de transition énergétique et face à la domination de certains États et notamment la Chine sur la production, le raffinage et la transformation des minerais terrestres, ils deviennent un enjeu de souveraineté et d’autonomie stratégique. C’est pour cela que Donald Trump a signé fin avril un décret pour accélérer l’exploitation des fonds marins américains et internationaux, en rupture avec le droit international et les mécanismes multilatéraux encadrant l’exploitation.

D’un point de vue juridique, les fonds marins internationaux et les ressources minérales qui s’y trouvent sont placés sous la responsabilité de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), créée par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Ils sont considérés comme patrimoine commun de l’humanité. Bien que les États-Unis n’aient pas ratifié – mais seulement signé – cette convention, ils en respectaient jusqu’alors les dispositions.

Le décret américain acte d’un contournement non seulement du cadre onusien, mais aussi du cadre multilatéral et du droit international. Il risque d’ouvrir la voie à une logique d’exploitation qui ne serait pas coordonnée et pourrait devenir conflictuelle. Tout cela affaiblit évidemment le processus collectif de négociations dont est mandatée l’AIFM. C’est aujourd’hui elle qui délivre des permis d’exploration (une trentaine dans le monde) et est chargée d’élaborer un code minier qui réglementerait l’exploitation. Pour cela, il faudrait aussi se mettre d’accord sur le partage des bénéfices entre les acteurs et États qui peuvent aller miner et ceux qui n’en ont pas les moyens. Problème : la recherche d’un consensus au sein du Conseil de l’AIFM rend très difficile l’adoption de décisions. Or les clivages entre pays représentés au sein de cette enceinte sont significatifs entre les « pro » (Chine, Russie, Inde notamment) et « anti » deep sea mining.

La Chine a été l’un des premiers pays à condamner la décision américaine, et pourtant elle fait partie des pays « pro » exploitation. Pourrait-elle à son tour autoriser l’exploitation ?

Romane Lucq : La Chine fait effectivement partie des États favorables au deep sea mining et est très active au sein des négociations de l’AIFM. Cependant, ce n’est pas dans son intérêt d’agir comme Washington car elle cherche à apparaître comme un acteur responsable, attaché au respect du multilatéralisme et du droit international – au moins sur ce sujet – et à renforcer son image d’État stabilisateur, soucieux de l’ordre onusien. Cette politique n’est pas décorrélée de tensions Nord-Sud plus larges et de sa volonté d’apparaître comme un contrepoids aux puissances occidentales et un interlocuteur privilégié des pays du Sud dans les enceintes internationales. Au-delà de la Chine, de la Russie ou de l’Inde, certains États insulaires du Pacifique, Nauru notamment, sont également pro deep sea mining et y voit des opportunités stratégiques et de développement économique.

Les acteurs miniers seraient-ils prêts à exploiter les fonds marins ?

Romane Lucq : C’est techniquement possible mais il y a un frein : la rentabilité. À ce jour, aucune étude n’a démontré de manière convaincante qu’aller miner les fonds marins serait économiquement viable. Les investissements à réaliser sont colossaux par rapport aux exploitations terrestres, déjà établies. En l’état et en l’absence de cadre légal, le deep sea mining n’a pas grand intérêt pour les acteurs miniers. Par ailleurs, les quelques entreprises positionnées, notamment The Metals Company, font face à une dépendance technologique et logistique vis-à-vis d’autres acteurs, qui complexifierait cette mise en œuvre.

Un traité contraignant pourrait-il voir le jour ? L’UNOC peut-elle accélérer le mouvement anti deep sea mining ?

Romane Lucq : Il existe aujourd’hui une coalition de 33 États, dont la France, appuyée par les scientifiques, qui plaident pour un moratoire. Mais étant donné qu’il n’y a pas de consensus dans un sens ou dans l’autre, il est peu probable qu’un traité ou code minier émane de l’AIFM à court terme. La tension est très forte entre les acteurs qui veulent aller miner – sous couvert de transition énergétique – et le consensus scientifique qui alerte sur l’insuffisance des connaissances disponibles pour garantir que l’exploitation minière puisse se faire de façon durable, sans dommages majeurs voire irréversibles sur les écosystèmes marins.

L’UNOC 3 va créer un moment de mobilisation sur cette question. On est même en droit d’espérer que certains États en profitent pour affiner ou clarifier leur position sur le deep sea mining, en se rapprochant des appels au moratoire.