La consommation énergétique des centres de données, poussés par le développement de l’IA, est au cœur de deux rapports publiés par le Shift Project et Zenon. Les think tanks pointent la nécessité de développer des capacités de production décarbonée pour répondre à leurs besoins et le risque de conflits d’usage avec d’autres secteurs en cours d’électrification comme les transports.
Zenon suggère une voie frugale et éthique pour l’IA européenne
Comme l’indique notre rapport de Zenon, l’approvisionnement énergétique devient un enjeu stratégique pour soutenir les infrastructures de calcul dédiées à l’IA. Il s’agit d’assurer la disponibilité rapide de capacités électriques massives, stables et décarbonées. À court terme, la production d’électricité par gaz reste un recours privilégié par les géants du numérique, grâce à la flexibilité et la pilotabilité qu’offrent les centrales, et malgré des tensions sur les chaînes d’approvisionnement. À moyen terme, les paris portent sur le nucléaire, les petits réacteurs modulaires et les solutions de stockage et de flexibilité. Tant que l’approvisionnement dépendra d’énergies fossiles et que les alternatives décarbonées ne seront pas pleinement matures, les émissions associées aux data centers continueront à croître.
En Europe, l’ambition de réduire la dépendance vis-à-vis des géants étrangers se traduit par des investissements dans le déploiement de puissances de calcul, le développement d’un écosystème souverain et l’attraction de data centers sur le territoire grâce à un mix électrique décarboné ou des coûts favorables. Mieux encore, l’Europe pourrait se différencier de ses concurrents américains et chinois dans la course à l’IA en encadrant une IA frugale et éthique.
Par Lucie Zhang, auteur du rapport « Intelligence artificielle, une bombe énergétique ? », pour Zenon Research.
Le Shift Project suggère de planifier le développement des centres de données
D’ici 2030, les centres de données dans le monde pourraient contribuer entre deux et trois fois plus au dérèglement climatique qu’en 2020, soit l’équivalent des émissions annuelles du secteur de l’élevage français, selon le rapport du Shit Project publié le 1er octobre. Un impact lourd qui justifie que le think tank se soit penché sur ce segment du numérique, après avoir travaillé sur les réseaux mobiles et satellites.
L’engouement du grand public pour l’IA générative depuis fin 2022 a intensifié la croissance déjà rapide des infrastructures de stockage et de traitement de données. Les investissements matériels dans ces infrastructures catalysent cette dynamique, anticipant des usages futurs encore plus gourmands en puissance de calcul. L’augmentation observée est principalement portée par les États-Unis, avec l’IA comme moteur principal de cette croissance.
En Europe, cette dynamique se répercute avec quelques années de décalage. Selon le Shift Project, la consommation d’électricité des centres de données pourrait tripler entre 2023 et 2035. En France, ces infrastructures représentent actuellement environ 2 % de la consommation annuelle, soit l’équivalent de l’électricité consommée par 2,5 millions de foyers. Si les tendances se poursuivent et si les dernières annonces se concrétisent, la consommation pourrait quadrupler d’ici 2035. Le rapport alerte sur le risque de conflit d’usage avec d’autres secteurs nécessitant l’électrification pour leur décarbonation, comme les transports ou le chauffage.
Le think tank appelle donc à intégrer la filière des centres de données dans la feuille de route nationale de décarbonation, la SNBC 3, afin de planifier sa transition et éviter qu’elle ne compromette celle de l’économie globale.
En documentant les dynamiques de consommation et d’émissions de gaz à effet de serre des centres de données dans le monde, en Europe et en France, le Shift Project propose une lecture prospective à 2035. L’objectif : inscrire le développement des infrastructures numériques dans des trajectoires environnementales, d’énergie et de carbone compatibles avec les contraintes physiques et climatiques.
Par Pauline Denis, ingénieure de recherche numérique et co-auteur du rapport
« Intelligence artificielle, données, calculs : quelles infrastructures dans un monde
décarboné ? », The Shift Project.