Copenhague a pris les rênes du Conseil de l’Union européenne ce mardi 1er juillet. Plan d’investissement européen, sortie du gaz russe, électrification… Renforcer l’indépendance des 27, voilà le maître-mot du Danemark pour cette nouvelle présidence.

Le Danemark a pris le 1er juillet la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne (UE). Le voici maître des négociations et du calendrier des réunions entre les gouvernements des 27 États membres jusqu’au 31 décembre prochain. Un pouvoir relatif ? Attention à ne pas le sous-estimer car il permet de donner de la visibilité à certains sujets, dans la lignée du travail mené par la présidence précédente – polonaise -, tout en préparant la suivante – chypriote – et en fonction des chocs géopolitiques, de plus en plus structurants.

Le pays scandinave a d’ailleurs retenu comme slogan « une Europe dans un monde en mouvement ». Et il a décidé d’insister sur les dossiers susceptibles de renforcer l’indépendance des 27, quitte à avancer à contre-courant de ses positions historiques, sur le budget européen notamment.

Moins de frugalité budgétaire

C’est le cas sur le plan budgétaire : la présidence danoise sera la première à traiter le cadre budgétaire pour 2028-2034. Traditionnellement, le Danemark fait partie des pays dits « frugaux », opposés à l’augmentation des budgets communs. « Mais faire partie du « Frugal Four » (Danemark, Autriche, Pays-Bas, Suède) n’est plus la bonne solution pour nous », a déclaré la Première ministre Mette Frederiksen, lors d’une réunion à Bruxelles le 3 juin. « C’est un changement majeur », a commenté dans la foulée sur le réseau X Neil Makaroff, directeur du think tank européen Strategic Perspective*.

Sur le fond, « je pense que les pays comme le Danemark et l’Espagne voudraient un plan d’investissement européen plus conséquent pour la défense et l’industrie », précise-t-il auprès de WARM. Deux États qui peuvent s’appuyer sur des commissaires européens à des postes stratégiques sur ces questions : Dan Jørgensen pour le Danemark à l’Énergie, et Teresa Ribera pour l’Espagne à la Concurrence.

Éliminer le gaz russe

En matière d’énergie, le Danemark va d’abord se concentrer sur la sortie du gaz russe. Dan Jørgensen a présenté une « loi pour la liberté » (Freedom Bill) à cet effet le 17 juin pour arrêter complètement les importations d’ici la fin 2027. « Cela apparaît comme une grande priorité, qui a toutes les chances d’aboutir », avance Neil Makaroff. Le Danemark profite en effet du travail déjà réalisé par la Pologne sur ce sujet, mais aussi du fait qu’il n’y ait pas d’autres grandes législations en matière d’énergie attendue sur les six prochains mois.

Et la plupart des pays prudents sur le dossier comme l’Espagne ou les Pays-Bas ne sont pas vraiment à risque d’opposition franche, contrairement à la Hongrie et la Slovaquie qui refusent fermement de se passer du gaz russe. Comme il faut une majorité qualifiée des 27 et non l’unanimité, « pas de problème pour adopter la législation », veut croire Neil Makaroff. « Ce sera peut-être plus difficile pour la faire respecter », ajoute-t-il.

Aubaine pour l’électrification

Dans cette recherche d’indépendance, « le Danemark pourrait étendre la définition de la sécurité énergétique à « l’électrification », sujet qui monte fortement parmi les acteurs économiques », assure Neil Makaroff. En témoigne la feuille de route du lobby de l’industrie danoise, le Danish Industry, qui fait de l’électrification, de la facilité de l’investissement et de la modernisation des réseaux trois des grandes priorités que le pays doit pousser ces six prochains mois, a expliqué son PDG, Lars Sandahl Sørensen, lors d’une rencontre avec des journalistes à Copenhague le 16 juin à laquelle WARM a participé.

Le Danemark a bien intégré le thème dans son programme. La difficulté réside cependant dans la manière d’introduire les besoins d’électrification dans la législation. Une nouvelle directive européenne, un panachage dans les textes existants ? Un Conseil des ministres chargé de l’énergie prévu début septembre à Bruxelles pourrait poser les premiers jalons. Plusieurs États membres, dont la France, laissent entendre que reconnaître l’équivalence des énergies renouvelables et des énergies bas carbone – c’est-à-dire principalement le nucléaire – pour atteindre les objectifs de décarbonation de l’UE inscrirait, de fait, des repères d’électrification pour l’économie européenne. Actuellement, seules les énergies renouvelables participent juridiquement à la décarbonation de l’Union européenne.

Tensions autour des objectifs climatiques

La reconnaissance de cette équivalence entre les énergies renouvelables et bas carbone est un combat majeur de la diplomatie française à Bruxelles ces dernières années. C’est un impératif pour que Paris apporte son soutien à l’objectif européen de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’UE de 90 % en 2040 par rapport à 1990, dévoilé mercredi 2 juillet par la Commission européenne et priorité de la présidence danoise.

« Je pense que beaucoup de débats vont tourner autour de cet objectif et sur l’instrumentalisation que l’on fait de cet enjeu pour ouvrir d’autres fronts. Pour les Français, la place du nucléaire en Europe par exemple », confirme Joseph Dellatte, chercheur spécialisé en politiques climatiques internationales auprès de l’Institut Montaigne**, à WARM.

Sans un soutien de la France et de ses alliés et malgré le poids de l’Allemagne et de ses alliés, difficile de réunir la majorité qualifiée des 27. Le Danemark a tout intérêt à régler l’affaire avant les grand-messes internationales sur le climat, en premier lieu la COP30 prévue au Brésil mi-novembre. « L’UE, sinon, prendrait le risque d’être délégitimée », alerte Joseph Dellatte.

À la satisfaction de la France, le commissaire européen chargé du Climat, Wopke Hokstrea, a déclaré dans Les Echos le 2 juillet que « le nucléaire fait partie de la solution » pour atteindre les objectifs de décarbonation, sans certitude encore sur les conséquences d’une telle affirmation. Le Danemark aussi montre des signes d’ouverture depuis quelques mois. « La nouvelle industrie danoise est favorable au nucléaire, le gouvernement l’est de plus en plus », affirme en ce sens Lars Sandahl Sørensen.

Marges de manœuvre

Pour faire avancer ces priorités et d’autres dans le digital ou encore la défense, la présidence danoise veut aussi poursuivre l’élaboration d’un plan de simplification réglementaire. Une demande forte de l’industrie qui pourrait aboutir à des facilitations accrues sur les aides d’État, et donc à plus d’investissements publics dans l’économie.

Quoi qu’il en soit, le mandat danois ne pourra être un succès sur tous ces points que si les chocs extérieurs ne le font pas trop dévier de sa ligne. « Cela peut absorber énormément de temps et d’énergie », conclut Neil Makaroff, invitant à observer comment la Pologne a subi la crise des tarifs douaniers américains, la guerre au Moyen-Orient, ou celle la guerre en Ukraine.

*Le think tank Strategic Perspective est financé par la Meliore Foundation, elle-même soutenue par des fondations américaines comme la Oak Foundation ou la Hewlett Foundation.

**Le think tank Institut Montaigne est financé par une centaine d’entreprises dont LVMH, TotalEnergies, Vinci ou Carrefour.