Le secteur est fortement émetteur de gaz à effet de serre et encore très dépendant des énergies fossiles. La réglementation avance timidement mais reste peu contraignante.

À lui seul, le fret maritime représente près de 90 % du commerce mondial en volume, et 80 % en valeur comme le montre le rapport d’information du Sénat, La France face au jeu des puissances en Méditerranée. Pour la France, ce sont 78 % des importations et exportations qui transitent par la mer : notre société et nos modes de vie en dépendent largement. Assurer sa décarbonation est donc primordial, d’autant que le secteur fait face à ce que le Shift Project appelle la « double contrainte carbone » : d’un côté, le changement climatique et les risques qu’il fait peser sur les sociétés et le vivant ; de l’autre, l’épuisement des énergies fossiles, qui rend leur approvisionnement de plus en plus incertain.

Une forte inertie

De fait, ce secteur est à la fois massivement émetteur et dépendant des énergies fossiles. L’Organisation maritime internationale (OMI) estime qu’il a émis plus d’un milliard de tonnes de CO₂ en 2018 – soit environ 3 % des émissions anthropiques mondiales. Et la trajectoire est préoccupante : entre 2012 et 2018, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de près de 10 %, celles de méthane (CH₄) de 87 %, notamment du fait de l’essor du gaz naturel liquéfié (GNL). Outre le CO₂ et le CH₄, le secteur émet aussi des oxydes de soufre et des particules fines nocives pour la santé, dont le carbone noir. Même encadrées par la convention Marpol – principale convention internationale de lutte contre la pollution marine – ces émissions continuent de croître. Selon l’OMI, elles pourraient augmenter de 50 à 250 % d’ici 2050.

L’espérance de vie des navires, de 20 à 30 ans, constitue un double verrou : il est ainsi possible de prolonger l’usage de technologies polluantes et de freiner l’adoption de la plupart des innovations structurelles. De plus, les navires affrétés – souvent exploités dans une logique de rentabilité immédiate – sont rarement modernisés. Or, le secteur repose largement sur ces pratiques d’affrètement et de sous-traitance : une grande part des navires exploités n’est pas détenue par les armateurs. Ainsi, CMA CGM ne possédait en 2023 que 253 des 623 navires qu’elle exploitait. Par ailleurs, comme le révèle la CNUCED dans son étude sur les transports maritimes 2024, la dynamique du secteur reste haussière : +3 % de croissance annuelle moyenne sur les 40 dernières années, et encore +2,4 % en 2023.

Une réglementation peu contraignante

Côté réglementation, les lignes bougent… mais lentement et très tardivement. À court terme, des mesures adoptées par l’OMI en 2021 et entrées en vigueur en 2022 visent à réduire les émissions de GES : mise en place d’un système d’évaluation de l’indicateur d’intensité carbone – CII -, d’un indice d’efficacité énergétique et d’un plan de gestion amélioré de rendement énergétique des navires existants – EEXI et SEEMP. Elles sont destinées à améliorer le rendement énergétique et réduire l’intensité carbone moyenne de la flotte d’au moins 40 % d’ici 2030 par rapport à 2008.

À long terme, l’OMI affiche des objectifs ambitieux. Elle souhaite une baisse des émissions annuelles totales de GES d’au moins 70 % d’ici 2040, et des émissions nettes nulles « d’ici 2050 ou aux alentours de cette date ».

Mais les mesures concrètes et les dispositifs contraignants font encore défaut. Le CII par exemple, n’est actuellement pas contraignant pour les armateurs. Pour y remédier, les États membres de l’OMI réunis lors du 83e Comité de la protection du milieu marin (MEPC 83) en avril dernier ont soutenu un cadre réglementaire global, articulé autour de deux piliers : une norme mondiale sur les carburants marins visant à réduire leur intensité carbone, et un mécanisme de tarification des émissions. Ce dispositif, qui devrait être adopté en octobre 2025 pour une mise en œuvre en 2027, s’appliquerait aux navires de plus de 5 000 tonnes brutes, responsables de 85 % des émissions du secteur.

Des avancées en Europe

Pour l’Union européenne, le transport maritime est intégré au dispositif Fit for 55 (paquet de propositions législatives faites par la Commission européenne pour arriver à une réduction de 55 % des émissions de GES en 2030 par rapport à 1990). Depuis janvier 2024, le secteur a rejoint le marché des quotas carbone (ETS), pour tous les navires de plus de 5 000 UMS, soit 500 000 pieds cubes. Cela signifie que les volumes de gaz à effet de serre qui peuvent être émis par les compagnies maritimes sont tarifiés et restreints année après année.

À cela s’ajoutent les règlements FuelEU Maritime et AFIR, qui tracent une trajectoire de réduction des émissions des navires et fixent l’utilisation progressive des biocarburants et e-carburants, tandis que la directive sur les énergies renouvelables (RED) fixe des objectifs en matière de production et d’utilisation de ces énergies.

La France suit cette dynamique, mais timidement. Sa feuille de route maritime révisée en 2023 identifie les leviers et propose notamment que les recettes de l’EU ETS soient utilisées pour financer des projets de décarbonation. Un sujet évoqué lors du dernier Comité interministériel de la mer du 26 mai dernier.

De leur côté, les grands armateurs européens s’étaient engagés lors de la COP28, en décembre 2023, à réduire leurs émissions de 80 % d’ici 2040, et à promouvoir l’entrée en vigueur, dès 2027, d’un mécanisme international de tarification des gaz à effet de serre couvrant toutes les émissions des navires.

Des carburants moins polluants

Pour remplacer les carburants d’origine fossile, plusieurs options existent mais toutes présentent des difficultés quant à leur implémentation :

  • Le GNL, longtemps perçu comme une solution transitoire, suscite aujourd’hui des inquiétudes en raison de fuites de méthane, un gaz à effet de serre 25 fois plus puissante que le CO₂.
  • Les biocarburants, adaptables aux moteurs existants, sont freinés par une offre limitée et une forte concurrence avec d’autres secteurs (aviation, agriculture), sans parler des risques de fraude liés à la traçabilité : déforestation de forêts vierges.
  • Les e-carburants, produits à partir d’hydrogène bas carbone et de CO₂ capté, nécessitent une énergie abondante, une logistique adaptée et des investissements considérables.

Quant à la propulsion vélique qui pourrait réduire les émissions de certains navires de 25 %, elle reste marginale face aux contraintes techniques et économiques.

Une évolution structurelle

Mais les mécanismes actuels ou envisagés (tarification, réduction de l’intensité carbone) ne s’attaquent pas à la question fondamentale : faut-il moins transporter ? Le ralentissement des navires (slow steaming) permet de réduire significativement la consommation sans investissements majeurs. Mais cela implique de transporter moins ou d’augmenter la flotte, ce qui réduira la compétitivité.

La transition du transport maritime est incontournable tant ce secteur est au centre de la mondialisation. Elle est d’autant plus urgente si l’on veut que la mondialisation cesse d’être un accélérateur du chaos climatique. Mais elle ne se fera ni sans heurts, ni sans une révision profonde du modèle économique et logistique du secteur.

Enfin, il est important de rappeler que toutes les réglementations évoquées ci-dessus ne concernent que les navires dépassant certains seuils de tonnage. Les navires de pêche, de plaisance ou de petit tonnage échappent encore à la majorité des dispositifs, alors qu’ils sont souvent les moins performants énergétiquement. Leur exclusion crée des effets pervers et occulte une part non négligeable des émissions du secteur.