La transition énergétique chinoise avance, de gré ou de force. Les autorités ne ménagent guère les populations lorsqu’il faut trouver de la main-d’œuvre pour extraire les ressources nécessaires ou encore libérer du foncier pour installer des centrales renouvelables.
C’est l’élément le plus abondant sur terre après l’oxygène : le silicium. Correctement raffiné, il devient le silicium métal, un composant essentiel des panneaux solaires. Dans le comté de Shanshan, préfecture de Turpan dans la province du Xinjiang, dans l’ouest du pays, le recours au travail forcé a été déploré en 2021 dans les usines Hoshine d’extraction et de transformation du silicium. Selon des rapports d’ONG et d’experts de l’ONU, des centaines de travailleurs ouïghours et kazakhs ont été escortés de force de leurs villages dans les montagnes vers un site fermé à près de 1 000 km de chez eux. Une manière pour l’entreprise de dénicher une main-d’œuvre très bon marché et pour les officiels d’éradiquer instantanément le chômage dans ces zones reculées.
Ces accusations, bien que réfutées par l’entreprise qui parle de « coopération dans le cadre d’un programme gouvernemental de lutte contre la pauvreté », ont entraîné l’interdiction par le département du commerce américain d’importer des panneaux solaires contenant du silicium de Hoshine, c’est-à-dire environ un panneau sur deux. Basée dans le Zhejiang et cotée en Bourse, Hoshine est le premier producteur mondial de silicium métal. Il fournissait 45 % de tout le silicium métal utilisé par l’industrie solaire dans le monde en 2020.
Expropriations sans ménagement
C’est loin d’être le seul cas où les grands projets de transition énergétique de Pékin ne ménagent guère les populations. Des centrales solaires doivent être construites sur des terrains habités ? Les habitants sont déplacés.
En 2021, à Huangjiao, près de Pékin, 300 familles ont ainsi perdu leurs terres pour les besoins urgents d’un projet photovoltaïque. À ces ruraux, l’entreprise avait proposé une rente annuelle de 1 800 euros par hectare, pendant 25 ans. Une somme intéressante sur le papier, comparable à ce qui est proposé par des opérateurs privés dans la Nièvre, par exemple. Mais les fermiers de Huangjiao exploitent chacun des micro-parcelles ne dépassant pas le demi-hectare, ce qui signifie que l’indemnité proposée – 75 euros par mois – ne peut compenser la perte du revenu de leur activité agricole. Tous ont signé le contrat de bail sans savoir lire ou sous l’intimidation. Quand ils ont compris leur sort, ils se sont rassemblés et ont tenté de manifester. Succédant à la répression policière, les sanctions judiciaires ont été sévères : entre 40 jours et 9 mois de prison pour rassemblement illégal et troubles à l’ordre public…
Pour Amnesty International, « les expulsions forcées, les saisies illégales de terres et la perte de moyens de subsistance liés à la perte des terres figurent parmi les préoccupations les plus fréquentes en matière de droits humains dans les secteurs de l’énergie éolienne et solaire ». Officiellement, aucune terre agricole ne peut être sacrifiée au profit d’un projet de centrale électrique : c’est ce que stipule la loi sur la gestion des terres. Née en 1986 et révisée en 2019, elle sanctuarise un volume de 120 millions d’hectares afin de préserver la sécurité alimentaire nationale. Dans la pratique, certains officiels manipulent les registres fonciers pour transformer ces terres en friches improductives et faciliter leur exploitation industrielle.
L’alternative des marais salants
Heureusement, il reste possible d’installer de vastes centrales solaires à côté de zones urbaines sans pénaliser les populations vivant en périphérie. La ville de Tianjin, par exemple, dispose d’une gigantesque zone d’activités, Binhai, desservie par le train à grande vitesse qui rejoint Pékin en une demi-heure. Binhai accueille aussi les plus grands marais salants du pays, dans la zone de Changlu. Ces salins côtiers qui forment de superbes images satellites remontent à la dynastie Tang, au Xe siècle.
Mais à mesure que le pays se tourne vers le sel minier, il délaisse le sel marin. Le patrimoine salicole disparaît. Ici, 1 333 hectares de marais se transforment actuellement en centrale solaire. D’une puissance totale de 1 000 mégawatts, ces panneaux se dressent à quatre mètres du sol, sur de solides poteaux d’acier et de béton plantés dans l’eau salée. Sur place, on constate que les salins ne sont plus asséchés. Ainsi ombragés, ils offrent une eau oscillante entre le marron et le vert, ce qui signe le retour des micro-organismes : un écosystème idéal pour l’introduction en cours de crevettes grises (« pipixia ») d’élevage. Sans dommages pour les populations.