Dans son dernier rapport annuel, l’Agence internationale de l’énergie souligne un paradoxe : la nette domination des investissements dans les énergies décarbonées ne fait pas encore reculer les investissements dans les fossiles.

Rien ne semble devoir ralentir les investissements dans l’énergie : dans son dernier rapport publié le 5 juin, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) relève que les flux de capitaux ont atteint 3 200 Md$ en 2024, contre un peu plus de 3 000 Md$ en 2023, soit une hausse de 6 %. Mieux : l’AIE projette un nouveau record à 3 300 Md$ en 2025.

Dans ce paysage mondial en mutation, la Chine s’impose comme le premier investisseur, injectant à elle seule autant de capitaux que les États-Unis et l’Union européenne réunis. Derrière cette montée en puissance, les tendances de fond suscitent des questionnements.

Les énergies vertes en tête

Les énergies vertes dominent, mais les fossiles ne lâchent pas : sur les 3 200 milliards engagés en 2024, environ 1 200 milliards – soit un tiers – sont encore allés au charbon, au pétrole et au gaz naturel. La Chine, en particulier, continue d’investir massivement dans le charbon, avec près de 100 GW de nouvelles capacités lancées cette année. Les approbations de projets atteignent même un sommet inédit depuis 2015.

L’AIE prévoit une possible baisse de ces investissements fossiles en 2025, mais cela reste une anticipation. En parallèle, les 2 000 milliards restants ont été dirigés vers des secteurs qualifiés de « propres » : énergies renouvelables, nucléaire, infrastructures de réseau, stockage, carburants à faibles émissions, électrification des usages et efficacité énergétique. Cela représente donc un peu moins du double des flux consacrés aux fossiles.

Autre fait marquant : 70 % des investissements supplémentaires proviennent de pays exportateurs d’énergies fossiles. Rien de surprenant à cela, puisqu’ils disposent des moyens financiers, mais pas nécessairement de l’incitation à ralentir leurs activités carbonées. La transition prend alors le risque de devenir un processus d’empilement et non de substitution des énergies fossiles par des énergies bas-carbone. D’ailleurs, les investissements dans le charbon, le pétrole et le gaz ont encore augmenté entre 2023 et 2024.

Le retour de l’électricité fossile face à une forte demande ?

L’électrification des usages est au cœur des scénarios de transition. La plupart envisagent une augmentation de la consommation d’électricité, entre autres dans l’industrie et les transports. Mais, pour que cette électrification s’accompagne d’une réduction de nos émissions de gaz à effet de serre, encore faut-il que cette électricité soit bas-carbone.

C’est là que l’analyse de l’AIE devient préoccupante. La croissance rapide de la demande, notamment en Chine et en Inde, pousse à sécuriser l’approvisionnement, parfois au prix d’un retour aux sources les plus polluantes. En Chine, les investissements dans de nouvelles centrales à charbon battent des records. Aux États-Unis, l’État de Virginie pourrait voir arriver 19 GW supplémentaires de gaz d’ici 2030 seulement pour alimenter les centres de données dont les capacités installées explosent dans cet État. Une ironie pour un secteur souvent présenté et justifié comme pilier de la transition énergétique.

Les réseaux, grands oubliés de la transition

Autre constat d’alerte : les réseaux d’électricité ne suivent pas. Selon l’AIE, les investissements dans les réseaux sont insuffisants pour accompagner l’essor des énergies renouvelables. En 2024, près de 600 GW de capacités renouvelables à un stade avancé de développement attendent d’être raccordées, faute de capacités de réseau suffisantes.

Ce goulet d’étranglement n’est pas seulement une question de manque de capital, mais aussi de planification et de priorisation. Sans renforcement massif des réseaux, une partie des projets pourrait attendre longtemps avant d’être raccordée au réseau.

Bien que les investissements dans le secteur énergétique croissent, ils signalent autant l’expansion du secteur bas-carbone que la persistance des énergies fossiles. Le prochain rapport dira si la baisse des investissements fossiles anticipée en 2025 se confirme.