Après avoir tout fait pour attirer des centres de données, le pays a fait machine arrière. En cause ? Leur forte consommation d’électricité, qui pourrait pénaliser d’autres secteurs et empêcher le pays de remplir ses engagements climatiques.
La construction de data centers en Irlande est aujourd’hui au point mort. Depuis novembre 2021, l’opérateur du réseau électrique national, Eirgrid, n’a accordé qu’un seul permis de raccordement par peur d’un dysfonctionnement majeur lié à une trop forte demande d’électricité. Le responsable de la Commission de réglementation des services publics, Jim Gannon, avait pointé du doigt le risque que « la demande dépasse l’offre disponible aux heures de pointe, ce qui entraînerait des délestages et des coupures de courant pour les consommateurs ». Il avait donc imposé à Eirgrid que tous les nouveaux projets ne mettent pas en danger l’approvisionnement d’électricité dans leur zone géographique. Ce que l’opérateur a bien été dans l’incapacité de faire.
Avant cette coupure brutale, le pays avait tout fait sur le plan réglementaire pour accueillir des centres de données. Avec succès. Selon le cabinet BitsPower, 15 Mds€ ont été investis dans la construction de data centers en Irlande, dont les deux tiers par quatre opérateurs hyperscale : Amazon Web Services, Microsoft, Meta et Google.
Des sites trop énergivores
Résultat, la consommation de ces sites très énergivores s’est emballée, passant de 1 238 GWh en 2015, soit 5 % de la consommation nationale, à 4 010 GWh en 2021 (14 %), selon le Bureau central irlandais des statistiques. Et le rythme s’est encore accéléré depuis : ils ont brûlé 6 969 GWh en 2024, soit 22 % de la consommation nationale.
En février dernier, la commission avait dit réfléchir à imposer aux futurs data centers de « fournir une production ou un stockage déployable [c’est-à-dire disponible lorsque le système en a besoin], sur site ou à proximité, qui soit supérieur ou égal à leur demande en électricité ». Sa décision finale n’a pas encore été annoncée.
Les entreprises concernées sont bien sûr montées au créneau pour pousser les autorités à revenir sur leur décision. « L’Irlande applique actuellement un régime très restrictif en matière de connexion des centres de données », s’est inquiété il y a quelques mois Michael McCarthy, le directeur du groupe de lobbying Cloud Infrastructure Ireland. Avant d’assurer : « Pour que l’Irlande conserve sa position d’économie numérique moderne et continue d’attirer des investissements importants du secteur technologique, il est essentiel de trouver un équilibre entre croissance et durabilité, tout en s’appuyant sur des données factuelles. » Le secteur du numérique a des arguments de poids : il représente environ 13 % du PIB du pays.
Menace sur les ambitions climatiques
Mais les autorités ont avancé un nouveau motif pour freiner le déploiement des data centers : le combat contre les émissions de carbone. « Les data centers apportent des avantages au pays, mais cela ne peut se faire au détriment d’autres secteurs ou de la réalisation de nos objectifs climatiques – et ils le savent bien », avait estimé Eamon Ryan, alors ministre de l’Environnement.
La municipalité de Dublin ainsi rejeté, en août 2024, la demande déposée par Google pour construire un troisième data center en raison « d’un manque d’énergie renouvelable significative sur le site ». Ce à quoi le lobbyiste Michael McCarthy a assuré que « les membres se sont engagés à garantir 1 200 MW d’énergies renouvelables grâce à des contrats d’achat d’électricité [« corporate power purchase agreements »], des projets qui ne seraient pas viables sans l’engagement de vente à des centres de données ».
Cet argument est fermement rejeté par Hannah Daly, professeure en énergie durable à l’University College Cork. « La demande des data centers a progressé six fois plus vite que les nouveaux projets financés par ces contrats d’achat, et plus de quinze fois plus vite que l’électricité consommée par toutes les autres sources : foyers, véhicules, industrie », assure-t-elle.
La professeure rappelle que « toute l’augmentation de la production d’énergies renouvelables entre 2017 et 2023 a été absorbée par la croissance de la demande des data centers », si bien que « l’utilisation des combustibles fossiles n’a pas diminué et les émissions restent obstinément élevées ». Elle note aussi, données à l’appui, que « d’un point de vue climatique, et notamment pour permettre à l’Irlande d’atteindre ses objectifs de réduction d’émissions de carbone, il est beaucoup plus important d’utiliser les nouvelles énergies renouvelables pour remplacer les combustibles fossiles plutôt que satisfaire la demande supplémentaire de nouveaux centres de données ». Un conflit d’usage loin d’être réglé.