Dans une optique d’indépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie vont quitter le réseau électrique russe le 8 février prochain. Les trois États baltes rejoindront le réseau européen.
Le 8 février prochain, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie vont ensemble se désynchroniser du réseau électrique russe pour rejoindre le réseau européen. Tout un symbole pour ces pays baltes rattachés et en partie alimentés depuis des décennies par les centrales électriques russes. Ils désirent désormais s’affranchir énergétiquement de leur dangereux voisin. Bien plus que des infrastructures de transport, les réseaux électriques sont aussi au cœur de l’évolution des rapports entre les pays d’Europe de l’Est et la Russie, les premiers coupant les ponts pour se rattacher physiquement à l’Europe de l’Ouest.
La décision des États baltes de rejoindre la zone synchrone européenne n’a pas été prise à la va-vite. Dès la fin des années 2000, des négociations avaient débuté pour sortir de la zone BRELL qui regroupe Biélorussie, Russie, Estonie, Lettonie et Lituanie. Le projet s’est accéléré en 2018, quand l’Union européenne a accepté de financer environ 75 % des investissements, qui s’élèvent à environ 1,6 Md€. « Nous travaillons activement sur le projet Baltic synchro depuis six ans maintenant. Le rôle d’Entso-e est d’aider à la mise en œuvre des mesures techniques et réglementaires nécessaires pour que cette décision politique devienne une réalité », explique Olivier Arrivé, chair du System Operation Committee d’Entso-e, entité qui regroupe tous les gestionnaires de réseaux de transport (GRT) européens.
La guerre en Ukraine a parachevé de convaincre les partenaires d’accélérer. Et en décembre 2023, la Commission européenne et les trois États baltes ont annoncé leur intention d’avancer la synchronisation. Elle aura lieu le 9 février 2025 et non à la fin de l’année comme initialement prévue. Signe que l’Union européenne souhaite en faire un symbole. La Lituanie était prête à se connecter dès 2023 mais a accepté d’attendre ses camarades pour rendre l’effet plus spectaculaire. « Si les échanges d’électricité ont cessé après le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les pays baltes dépendent encore de la zone BRELL pour juguler la fréquence, un mécanisme essentiel pour maintenir un approvisionnement stable en électricité aujourd’hui », rappelle Albino Marques, Coordinateur du Continental Europe region of the Operations Committee d’Entso-e.
Le cas Kaliningrad
Concrètement, connecter les trois pays baltes ne revient pas à « brancher une prise ». Ils commenceront à se déconnecter du réseau BRELL le 8 février pour se synchroniser avec la plaque de cuivre européenne le lendemain 9 février. « Le projet Baltic synchro est avant tout un défi technique. Les GRT baltes ont réalisé de nouveaux investissements dans des systèmes de contrôle afin d’être capables de gérer le réseau et suivre les règles obligatoires communes à tous les GRT sur la zone synchrone », détaille Albino Marques.
La décision des pays baltes va avoir des conséquences bien concrètes pour Kaliningrad. Ce petit bout de territoire russe enclavé entre la Pologne et la Lituanie est interconnecté avec cette dernière grâce à deux lignes électriques. Mais la sortie de la zone BRELL isolera, de fait, électriquement Kaliningrad. Outre les nombreuses questions techniques, l’un des défis pour les GRT des pays Baltes sera de maintenir une relation aussi harmonieuse que possible avec ses voisins russe et biélorusse. En particulier en ce qui concerne la situation de Kaliningrad. « Avec la désynchronisation avec les GRT de la Biélorussie et de la Russie, le territoire devra fonctionner en mode ilôtage », confirme Olivier Arrivé.
Cela n’a pas échappé au Kremlin qui a fait installer des équipements additionnels dans son enclave pour maintenir une alimentation électrique stable. Au moins quatre tests « en mode ilôtage » auraient été menés avec succès par le gestionnaire de réseau.
Sabotages
Cette perte d’influence de la Russie sur ses anciens satellites devenus indépendants ne se fait pas sans heurts. À l’instar de l’avarie intervenue à Noël dernier sur Eastlink2, l’une des deux interconnexions électriques qui relie l’Estonie à la Finlande. La coupure n’aurait rien d’accidentel selon les autorités estoniennes qui soupçonnent un pétrolier russe d’avoir laissé traîner volontairement son ancre. « Les dommages causés aux infrastructures sous-marines critiques sont devenus si fréquents qu’il est difficile de croire qu’il s’agit d’un accident ou d’une simple erreur de navigation. Nous devons comprendre que les dommages aux infrastructures sous-marines sont devenus plus systématiques et doivent donc être considérés comme des attaques contre nos structures vitales », a affirmé Margus Tsahkna, ministre estonien des Affaires étrangères, suite à ces évènements.
Chez Entso-e aussi, on se penche sur cette question. « Il y a dix ans, ce n’était pas du tout un sujet. Aujourd’hui, Entso-e soutient les échanges de bonnes pratiques entre les GRT membres. L’ukrainien Ukrenergo nous aide beaucoup en raison de son triste retour d’expérience de la guerre. Toutefois, la protection des infrastructures (câbles et autres) relève principalement de la responsabilité des GRT nationaux, en relation avec leurs autorités nationales. S’il y a des initiatives des institutions européennes, le rôle de l’Entso-e pourrait s’étendre à cette question critique ».
Pour les États baltes et plus généralement les pays affichant une dépendance énergétique issue de l’ère soviétique, le rapprochement avec l’Europe de l’Ouest est donc vital. Il doit permettre de s’affranchir du lien de dépendance énergétique dont Moscou use dans le gaz naturel mais aussi l’électricité. Des moyens de pression particulièrement puissants, l’accès à l’énergie étant indispensable à toute économie.