Même pour Donald Trump, certaines choses ne se font pas. « Ils ont enlevé 625 millions d’acres (253 hectares) […] Mais nous les remettrons en place. Je le ferai dès le premier jour […] vous savez qu’ils essaient d’être sournois », a fulminé le futur président des États-Unis, lors de sa conférence de presse de Mar-a-Lago le 7 janvier 2025. L’objet de sa colère ? Le décret présidentiel promulgué la veille par Joe Biden pour bannir les forages en mer sur une partie des eaux fédérales, dans l’Atlantique et le Pacifique. Une ultime tentative pour freiner les velléités de son successeur dans l’exploration pétrolière et gazière.
Avec son « Drill, baby drill ! » martelé pendant sa campagne, Donald Trump assume un retour aux fondamentaux pétroliers et gaziers des États-Unis pour renforcer la puissance énergétique américaine, ce qui a de quoi inquiéter les défenseurs du climat. Mais le mantra du nouveau locataire de la Maison Blanche, qui prête serment le 20 janvier prochain, est-il vraiment en contradiction avec la politique de ses prédécesseurs ? Le retour au premier plan des énergies fossiles condamne-t-il d’ores et déjà les projets renouvelables ? Quelles conséquences concrètes pour les entreprises de la transition énergétique et écologique ? Et à l’échelle internationale, quels impacts géopolitiques, notamment pour l’Europe ? Beaucoup de questions, une seule certitude : l’énergie sera l’une des armes privilégiées des États-Unis pour instaurer un rapport de forces avec ses adversaires mais aussi, et surtout, avec ses alliés.
Back to basics
Les États-Unis n’ont pas attendu Donald Trump pour redevenir une puissance pétrolière et gazière. Porté par la révolution du pétrole et gaz de schiste des années 2000, le pays s’est hissé au rang de premier producteur mondial de pétrole, devant l’Arabie Saoudite, en 2014 sous Obama. Et depuis, il n’a jamais produit autant de pétrole de son histoire avec un nouveau record établi en 2023 à 13 millions de barils/jour.
« Aujourd’hui, les États-Unis sont le plus grand producteur de pétrole et de produits pétroliers au monde. Le pays pèse environ 20 % de la production mondiale de pétrole et de produits pétroliers, lui permettant de couvrir intégralement ses besoins et d’exporter le surplus », se félicitait dès 2022 Joe Biden lors d’une allocution à la Maison Blanche.
Une indépendance énergétique qui revêt un enjeu crucial tant au niveau national qu’international. Comme la plupart des dirigeants politiques, le président des États-Unis doit garder un œil vigilant sur les prix à la pompe, marqueur de l’inflation pour les classes moyennes, particulièrement dans un pays où la voiture est reine. Donald Trump en a d’ailleurs fait un axe de sa campagne assurant pouvoir faire baisser d’au moins 50 % les prix de l’énergie pour les Américains. Une promesse qui a eu un écho d’autant plus grand que la population américaine subit une hausse sensible des prix à la consommation (l’inflation oscille entre 2,7 % et 8 % ces quatre dernières années).
Maintenir des prix de l’énergie bas est également indispensable pour réussir le grand défi de la réindustrialisation. Il s’agit, avec les tarifs douaniers et l’Inflation Reduction Act (IRA), d’un élément décisif pour convaincre les industriels du monde entier de relocaliser leurs productions au pays de l’Oncle Sam. Et de fait, la dynamique est déjà largement amorcée, comme le notait Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne, dans son rapport sur la compétitivité européenne : « les entreprises de l’UE restent confrontées à des prix de l’électricité qui sont deux à trois fois plus élevés qu’aux États-Unis. Les prix du gaz naturel sont quatre à cinq fois plus élevés. » À ces niveaux, l’énergie devient un véritable avantage concurrentiel.
Des marges de manœuvre limitées
Pour autant, la capacité d’action du président américain sur l’industrie pétrolière et gazière reste, dans les faits, assez limitée. Contrairement aux grandes pétromonarchies, la production d’hydrocarbures n’y dépend pas de l’État mais d’une myriade d’entreprises privées de tailles diverses dont la prise de décision est beaucoup plus sensible aux cours du pétrole et du gaz qu’aux incantations de Washington.
Interrogé en novembre 2024 par CNBC, Darren Woods, PDG de la major américaine Exxon, a rappelé qu’aucune entreprise ne « développe une stratégie commerciale pour répondre à un agenda politique ». Sous-entendu : la hausse éventuelle de la production d’hydrocarbures dépendra avant tout des réserves, de l’évolution des cours du baril et de la volonté des actionnaires.
Le grand remplacement du gaz russe
À l’échelle internationale, l’indépendance énergétique redéfinit les rapports de force avec les autres pays producteurs, notamment ceux du Moyen-Orient, où se trouvent bon nombre d’acteurs clé du marché pétrolier, mais aussi avec les pays importateurs. En l’espace de deux ans, les États-Unis sont devenus un fournisseur incontournable de l’Union européenne, lui livrant 20 % du gaz naturel liquéfié au premier trimestre 2024 contre à peine 5 % en 2021, selon les statistiques de la Commission européenne.
Ce qui lui donne une influence grandissante sur le Vieux Continent et crée pour celui-ci une dépendance accrue au gaz de schiste américain. Avec de possibles effets sur la capacité d’approvisionnement et sur les prix. Jean-Pierre Clamadieu, président de l’énergéticien Engie, confiait récemment, en marge de ses vœux à la presse, s’attendre à un hiver gazier 2025-2026 « plus tendu » en raison notamment de goulots d’étranglement sur les capacités de liquéfaction aux États-Unis.
D’autant que si l’influence du président américain sur la production d’hydrocarbures de son pays est limitée, sa capacité à influer sur les exportations pourrait être bien plus importante. Excédé par le déficit de la balance commerciale américaine, Donald Trump a clairement enjoint ses partenaires à acheter américain : « j’’ai dit à l’Union européenne qu’elle devait combler son énorme déficit avec les États-Unis en achetant à grande échelle notre pétrole et notre gaz. Sinon, c’est droits de douane sur toute la ligne !!! », a-t-il déclaré dans un message publié sur son compte Truth Social fin décembre. L’avertissement a le mérite de la clarté pour une Union européenne qui hésite encore sur sa ligne stratégique face à Trump.
Quel avenir pour les entreprises de la transition énergétique ?
Reste la grande question de l’avenir des secteurs de la transition. En première ligne, les développeurs éoliens peuvent légitimement s’inquiéter. Ils ont été l’objet, lors de la conférence de presse à Mar-a-Lago du 7 janvier 2025, d’une saillie toute trumpienne : « Les éoliennes jonchent notre pays comme du papier, comme des ordures dans un champ. Et c’est ce qui leur arrive, parce qu’au bout d’un certain temps, elles se transforment en déchets. Elles ne fonctionnent que si elles sont subventionnées. Les seules personnes qui en veulent sont celles qui s’enrichissent grâce aux éoliennes, qui reçoivent des subventions massives du gouvernement américain, et c’est l’énergie la plus chère qui soit. Elle est beaucoup, beaucoup plus chère que le gaz naturel propre. Nous allons donc essayer de mettre en place une politique qui ne prévoit pas la construction d’éoliennes. Et elles rendent les baleines folles. »
Des déclarations qui ont déjà des effets concrets, et pas seulement outre-Atlantique : elles ont fait chuter de 9,2 % l’action du fabricant français de câbles Nexans le 10 janvier dernier, après que l’analyste Barclays ait abaissé son objectif de cours en raison de l’exposition du groupe sur le marché éolien, notamment offshore, américain.
Au-delà de l’éolien, les autres secteurs de la transition énergétique ont-ils des raisons de s’alarmer ? La première mandature Trump offre des enseignements intéressants. Le milliardaire tenait déjà un discours très dur contre les énergies renouvelables, et pourtant ces dernières n’ont pas connu d’années noires. Il s’est même construit plus d’énergies renouvelables (solaire, éolien) sur la période 2016-2020 que sous le précédent mandat d’Obama. Une dynamique préservée grâce au prolongement à trois reprises du précieux avantage fiscal (PTC) qui porte depuis des années le secteur américain, et qui fait l’objet d’un consensus transpartisan entre Démocrates et Républicains.
Tous ces mécanismes survivront-ils à la nouvelle administration ? L’omniprésent Elon Musk, dont la fortune repose notamment sur les véhicules électriques et les batteries avec Tesla et le solaire avec SolarCity, contrebalancera-t-il les ambitions fossiles de Trump ? Les premières semaines de la nouvelle administration permettront de mesurer l’influence de l’homme d’affaires et de voir où positionner le curseur.
Des dirigeants européens confiants
Interrogé sur la question, Mathieu Lefebvre, président de la société Waga Energy, qui exploite le méthane produit par les décharges, se montre philosophe : « On a appris à vivre avec l’incertitude. » Son entreprise a inauguré son premier site aux États-Unis en mars dernier, en construit onze autres, et a fourni sa technologie à Air Liquide sur deux de ses sites américains. Son optimisme n’est pas béat, d’autant que Donald Trump est par nature imprévisible, mais le passé le rassure : « Notre business s’appuie sur le Renewable fuel standard, une obligation faite à l’industrie d’incorporer un pourcentage de carburant d’origine renouvelable dans leur mix. Ce mécanisme a été mis en place par Georges Bush fils, et n’a depuis jamais été remis en cause, même par Donald Trump lorsqu’il était président. » Les droits de douane (tariffs) représentent également un défi pour un acteur comme Waga Energy comme pour tous ceux qui importent des biens de l’étranger. « Nous avons des centres d’ingénierie et de construction au Québec et aux États-Unis. Cela revenait jusqu’à présent moins coûteux de produire au Canada mais si les choses changent, nous saurons nous adapter », prévient Mathieu Lefebvre. À moins que le Canada n’accepte la proposition de Donald Trump de devenir le 51ème État des États-Unis…
Éric Scotto, président du développeur et producteur d’énergies renouvelables Akuo Energy, actif aux États-Unis, et notamment au Texas, se montre aussi rassurant. « Les renouvelables sont devenues compétitives, nos interlocuteurs américains sont très pragmatiques : si on peut leur offrir l’accès à une énergie à bas coût, ils seront demandeurs », expliquait-il lors d’un webinaire organisé par 2050 Now et GreenUnivers quelques jours après l’élection américaine. Mais il garde tout de même un œil sur l’IRA, menacé par Trump et dont l’abandon serait problématique car il renchérirait le coût des équipements.
Du côté des grandes utilities françaises présentes outre-Atlantique, la nouvelle administration Trump ne soulève pas non plus de fortes inquiétudes pour l’instant. Veolia continue à miser fortement sur le pays comme nous l’a expliqué la directrice générale du groupe, Estelle Brachlianoff. Quant à Patrick Pouyanné, il constatait juste avant l’élection présidentielle lors du club 2050 Now que « le grand sujet du moment aux États-Unis est l’électricité pour la tech et notamment l’intelligence artificielle ». L’IA et les cryptomonnaies sont justement un axe stratégique du programme de Trump, ce qui va encore alimenter la demande. Dans ces conditions, les renouvelables devraient tirer leur épingle du jeu. Le gaz aussi : le cabinet de conseil en énergie Enverus estime que 80 nouvelles centrales électriques au gaz seront construites aux États-Unis d’ici 2030, ajoutant 46 GW de capacités. Pour Trump, qui a annoncé son intention de sortir de l’Accord de Paris, le climat peut attendre. Pas le business.