L’énergie est au cœur de la géopolitique mondiale, a expliqué le PDG de TotalEnergies en ouverture de la conférence de WARM, le 5 novembre. En devenant le premier producteur mondial de pétrole, les États-Unis ont acquis une indépendance qui modifie en profondeur les échanges et oblige les autres puissances à adapter leur stratégie. 

« Pourquoi l’Amérique parle-t-elle comme cela ? », s’est interrogé Patrick Pouyanné. La diplomatie agressive, baptisée Energy dominance, pratiquée par Donald Trump ne vient pas de nulle part. Une petite révolution s’est produite en l’espace de vingt ans. « Les pétroles et gaz de schiste ont tout changé. Les États-Unis sont devenus le premier producteur de pétrole sur la planète », rappelle le PDG de TotalEnergies. 

Ce profond changement sur la scène énergétique mondiale a été sous-estimé en Europe. Or, il a bouleversé la géopolitique et le rapport que Washington entretient avec les trois autres grands producteurs d’or noir que sont l’Arabie saoudite, la Russie et le Canada. Ils représentent à eux quatre la moitié de la production mondiale de pétrole. La relation des États-Unis avec les pays du Moyen-Orient évolue en effet très vite : « À Riyad en mai dernier, Donald Trump dans un discours construit a confirmé que les États-Unis n’ont plus vraiment besoin du Moyen-Orient et a dit aux dirigeants de ces pays de prendre leur futur en main. » Conséquence : ces États regardent à l’Est, là où croît la consommation de gaz et de pétrole, et se montrent, de fait, de moins en moins enclins à accepter les demandes répétées de la Maison Blanche de cesser les exportations vers la Chine. 

Trump laisse les renouvelables à la Chine

En matière de gaz naturel aussi, les États-Unis produisent plus que n’importe quel État au monde et deviennent, en 2025, le premier exportateur de gaz naturel liquéfié (GNL). Si ces énormes capacités de production offrent un avantage compétitif durable à l’industrie américaine, Patrick Pouyanné note par ailleurs que la transformation d’une partie du parc électrique du charbon vers le gaz a contribué à faire baisser les émissions de gaz à effet de serre des États-Unis d’environ 1,3 % par an en moyenne depuis 2015. Un argument de choix pour la major française qui a fait du gaz naturel la pierre angulaire de sa stratégie de transition énergétique. 

En revanche, malgré le grand potentiel du pays, l’administration Trump confirme sa volonté de se détourner des énergies renouvelables, laissant le champ libre à une Chine déjà leader sur ce marché d’avenir. « En quinze ans, la Chine est devenue une superpower du bas carbone avec une remarquable intégration sur toute la chaîne de valeur », observe-t-il. La stratégie de Pékin s’étend jusqu’aux terres rares, nécessaires à la fabrication des équipements. « Le nouveau pétrole, ce sont ces matériaux », insiste le chef d’entreprise.

Selon lui, la Chine garde encore en mémoire la crise pétrolière de 2008 avec une envolée des cours à plus de 150 $ le baril. Encore très dépendante du pétrole – la Chine pèse à elle seule entre 15 et 20 % de la demande mondiale – elle cherche depuis ces dernières années à électrifier massivement pour renforcer son autonomie. Avec des résultats significatifs : « La Chine a multiplié par cinq sa capacité de production électrique en vingt-cinq ans, passant de 2 000 TWh à 10 000 TWh », rappelle Patrick Pouyanné.

L’Europe imprudente

Et l’Europe ? Elle ne se montre guère prudente, selon le dirigeant, qui constate qu’elle passe d’une dépendance au gaz russe à une dépendance au GNL américain sans vouloir visiblement négocier d’accord de libre-échange avec les États-Unis. Un jeu dangereux car l’Europe importe l’essentiel de ses consommations énergétiques. La construction d’un parc d’énergies renouvelables capable à terme de se substituer aux énergies fossiles serait un trompe-l’œil, selon Patrick Pouyanné, car la chaîne de valeur de ces équipements est quasi-intégralement contrôlée par la Chine. « On a les électrons mais on dépend des autres pour les matériels », résume-t-il. 

Seule éclaircie dans cette description bien sombre du ciel énergétique européen : le prix du gaz importé devrait être relativement bon marché en raison des nombreux projets de GNL en développement dans le monde. Autre signe que le PDG de TotalEnergies juge encourageant : depuis 2015 et l’Accord de Paris, on observe une décorrélation, plus ou moins importante selon les pays, entre la croissance économique et son contenu carbone associé. « Cela évolue dans le bon sens, même si cela ne va pas assez vite. Le scénario d’un réchauffement limité à 2°C nous apparaît désormais inatteignable », conclut-il.