En 2024, l’émirat était le troisième exportateur mondial de gaz naturel liquéfié (GNL), derrière les États-Unis et l’Australie. Cette industrie lui a apporté les moyens financiers de projeter son influence bien au-delà du Moyen-Orient, et notamment en France. Mais la reconfiguration du marché risque de compromettre les ambitions de Doha. 

Pas plus grand que l’Île-de-France, le Qatar est devenu en moins de quarante ans une superpuissance de l’énergie. Une réussite qui repose sur une vision de long terme définie dans les années 1980, après la découverte de ses premiers grands gisements de gaz naturel, au large de ses côtes. À coups d’investissements massifs et de partenariats stratégiques avec des entreprises internationales, l’émirat a misé sur la liquéfaction de son gaz pour l’exporter via des méthaniers vers les grands centres de consommation que sont l’Asie et l’Europe. Une vraie success story industrielle qui lui a permis de devenir le troisième exportateur mondial de GNL avec 77,2 Mt en 2024, soit près de 20 % du marché mondial. 

Surcapacités en vue

Ces dernières années, les perspectives semblaient encore très prometteuses, notamment en Asie et plus particulièrement en Chine. Mais un grain de sable pourrait gripper cette mécanique. « Le Qatar s’est engagé sur des investissements importants pour profiter de l’essor du marché mondial du GNL. Certaines décisions finales d’investissement ont été prises sans être liées à des contrats à long terme, ce qui fait peser un risque en cas de retournement de marché. Or, au regard du nombre de projets d’usines de liquéfaction en construction actuellement, on se dirige tout droit vers une situation largement surcapacitaire en 2026 et 2027 », observe Anne-Sophie Corbeau, chercheuse au Center on Global Energy Policy, à l’Université de Columbia à New York.

Il faut dire qu’en matière d’infrastructures, la capacité mondiale de liquéfaction a bondi de 300 Mt/an à 492 Mt/an en près de dix ans. Et les projets se multiplient, notamment aux États-Unis, encouragés par l’administration Trump. De fait, la plupart des analystes s’attendent à des baisses de prix d’ici 2030, ce qui risque de pénaliser fortement l’émirat, dont les hydrocarbures représentent plus de 85 % des exportations. « Le Qatar va devoir revoir ses exigences car nous sommes désormais dans un marché d’acheteurs », confirme Didier Holleaux, ancien directeur général adjoint d’Engie. Un avis partagé par Anne-Sophie Corbeau, qui rappelle que les « compagnies japonaises valorisent énormément la flexibilité dans leurs contrats d’achat de GNL ».

Incertitudes géopolitiques

Et la nouvelle donne géopolitique impulsée par Donald Trump risque d’avoir des effets collatéraux pour le Qatar. La turbulente diplomatie américaine a conduit à une recrudescence des opérations militaires au Moyen-Orient, avec le risque d’un blocage du détroit d’Ormuz par l’Iran. Et elle n’a pas empêché le rapprochement entre la Russie et la Chine, réduisant mécaniquement la demande chinoise en GNL, sur laquelle l’émirat comptait beaucoup pour ces prochaines années.  

Le Qatar pourrait-il être tenté de créer une Opep du GNL, comme l’Arabie Saoudite a su le faire en son temps pour relever les cours du pétrole ? « Je ne vois pas se constituer l’équivalent d’une Opep pour le GNL, mais on assiste actuellement à une entente entre les États-Unis, la Russie et le Qatar sur l’importance du rôle des énergies fossiles sur le long terme », estime Anne-Sophie Corbeau. 

Et les experts s’accordent sur un autre point : une éventuelle baisse des prix du gaz, même sur plusieurs années, ne risque pas de mettre en faillite la pétromonarchie. Cela pourrait néanmoins réduire ses marges de manœuvre financières et, de facto, ses nombreux investissements dans le monde.