Très capitalistique, le secteur minier a besoin de fonds privés. Des initiatives ont commencé à voir le jour, mais elles pâtissent de son exclusion de la taxonomie européenne et d’une rentabilité longue à atteindre.

Sans métaux critiques, pas d’industrie de la défense souveraine ni de transition écologique ou numérique. En mai 2024, l’Union européenne (UE) a décrété la mobilisation avec son « Critical Raw Materials Act » (CRMA) qui vise à assurer au moins 10 % de l’extraction, 40 % du raffinage et 25 % du recyclage de matières premières critiques par an sur son territoire. Une trentaine de ressources critiques ont été répertoriées, dont le lithium, le cobalt, le manganèse, le cuivre, le graphite…

Dans la foulée, la Commission européenne et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) se sont attaquées au nerf de la guerre : le financement. Elles ont annoncé investir chacune 25 M€ avec l’objectif de lever 50 M€ supplémentaires pour des entreprises encore au stade de l’exploration. Au niveau des États membres, l’Italie a constitué un fonds d’1 Md€, idem en Allemagne, la France a de son côté mobilisé 500 M€. Mais les objectifs de l’UE ne peuvent être atteints sans la contribution des investisseurs privés – banques, assurances, fonds de pension.

Un fonds français visant 2 Mds€

De premiers projets ont vu le jour. En 2023, la société de gestion française InfraVia Capital Partners a constitué un fonds dédié aux métaux critiques qui a accueilli les 500 M€ de l’État français. Une initiative qui figurait parmi les recommandations du rapport Varin sur la sécurisation de l’approvisionnement de l’industrie en matières premières minérales. Objectif ? Atteindre 2 Mds€ afin de viser, en France et à l’international, la mise en production de projets industriels d’extraction (50 % environ du portefeuille), de transformation et de recyclage des métaux critiques.

Les équipes ont identifié quelque 300 projets dans le monde dont 50 % en Europe et une vingtaine en France, au stade prospectif. Le fonds a une durée de vie de 25 ans car, bien sûr, ces projets sont de long terme. Entre la découverte d’une mine de cuivre, par exemple, et son exploitation, il faut compter en moyenne 17 ans. « Mais il existe en Europe des gisements sur étagère, notamment au Portugal, en Espagne, en Allemagne, qui pourraient être opérationnels d’ici 5 ans », relève Sylvain Eckert, responsable de l’activité métaux critiques d’InfraVia. Le fonds s’intéresse aussi à des projets permettant de rétablir des savoir-faire perdus, et notamment le raffinage, un process essentiel aujourd’hui réalisé presque exclusivement en Chine.

Mais la subvention publique ne sera mobilisable que lorsque d’autres investisseurs, français et européens de préférence, s’engageront. Or leur mobilisation n’est pas encore au rendez-vous.

Pas de gros ticket mais des effets de levier

Autre initiative, celle de la société européenne EIT InnoEnergy avec la société de gestion Demeter Partners : elles ont créé un fonds visant 500 M€ dédié au développement d’une chaîne d’approvisionnement en matières premières (lithium, nickel, cobalt, manganèse et graphite) pour les batteries en Europe. « Pour cette seule industrie, 100 Mds€ d’investissement sont nécessaires dans les dix ans au niveau européen. Il manque la quasi-totalité », résume Antoine Troesch, managing partner de Demeter. Leur objectif peut donc paraître dérisoire, mais les effets de levier seront clés.

« Avec 500 millions, on réalise une quinzaine d’investissements d’une trentaine de millions chacun et on amorce des projets, en prenant une part de 30 %, de 100 millions. Avec 100 millions, on pousse des projets de la phase d’étude jusqu’à la construction d’une usine pilote de 200 millions. À ce stade, on peut avoir de la dette qui arrive et préparer l’étape suivante : amener des fonds d’infrastructure à financer une usine à 2 Mds et des banquiers à apporter de la dette », explique Antoine Troesch. Les acteurs publics (Caisse des Dépôts, Bpifrance, BEI) peuvent aussi intervenir en capital ou dette, subventions ou garanties pour les projets stratégiques.

« Pour notre fonds, nous avons identifié 240 projets miniers, d’usines de raffinage, de recyclage, en Allemagne, Italie, France, dans les pays scandinaves et dans la région ibérique », annonce Robert Baylis, gestionnaire de portefeuille chez EIT InnoEnergy.

La barrière de la taxonomie

Si les projets ne manquent pas, c’est du côté des souscripteurs que le bât blesse. Les grands assureurs, mutuelles ou fonds de pension ne se bousculent pas pour contribuer. Et pour cause : les activités d’extraction et de raffinage de métaux critiques ne sont pas éligibles à la taxonomie européenne, qui vise à réorienter les flux financiers vers les activités durables. « L’Union européenne a dressé une liste de matériaux critiques, mais il n’y a pas de financement derrière. S’ils veulent avoir des labels ESG, les fonds ne peuvent pas investir dans les minerais », regrette Christel Bories, directrice générale du groupe minier Eramet.

Les banques aussi rechignent, les Françaises semblant même plus frileuses que leurs homologues espagnoles et néerlandaises dont les pays ont conservé une tradition et une expertise minière. Car outre le problème de la taxonomie, le secteur minier cumule les risques : financiers, technologiques, géopolitiques… Sans compter les problématiques d’acceptabilité environnementale et sociale et le temps long.

Les projets de recyclage sont eux plus faciles à financer, d’abord car le secteur est inclus dans la taxonomie européenne. Chez BNPP AM, Juliette de Valence, analyste mining et métaux, confirme : « nous finançons des projets de recyclage de métaux critiques, qui offrent une certaine stabilité des cash-flows. Par exemple, lorsque le porteur de projet dispose d’un prix garanti sur le traitement des métaux. »

Alors comment résoudre ce casse-tête du financement ? Un retournement serait en train de se réaliser. « Le fait que les banques doivent compenser la réduction de leur exposition sur les secteurs pétrole et gaz est favorable au secteur minier », note Sylvain Eckert. Antoine Troesch se montre lui aussi confiant : « un premier cadre éligible à la taxonomie concernant l’ensemble de la chaîne de valeur vient d’être publié en février et je discute avec des banquiers qui manifestent un nouvel intérêt pour le secteur. » De quoi rattraper la Chine et ses dizaines de milliards investis par an ?