Guerre en Ukraine, instabilité politique, investissements insuffisants dans les nouvelles technologies… Face à une Amérique attractive pour les investisseurs, l’Europe peine à faire le poids. 

Après l’épouvantail, l’appeau. En quelques semaines, la perspective cauchemardesque du retour de Donald Trump à la Maison Blanche semble s’effacer doucement, du moins du point de vue des investisseurs. L’Amérique attire, et pourrait attirer encore plus. Déjà, sous sa première présidence, le républicain avait mis en place des réductions d’impôt sur les sociétés, maintenues dans une certaine mesure sous Joe Biden. L’Inflation Reduction Act (IRA), adopté en 2022, a ensuite introduit des crédits d’impôt massifs pour les entreprises innovantes ou actives dans les domaines de la transition énergétique et des technologies vertes. Une aubaine pour les sociétés américaines mais aussi européennes, notamment pour les secteurs en quête d’opportunités comme les énergies renouvelables, les véhicules électriques, la chimie, les technologies de stockage d’énergie ou encore les biocarburants.

L’UE sans voix

Un dynamisme qui tranche avec les difficultés qui assaillent le Vieux Continent. Elles sont multiples et effraient bon nombre de dirigeants politiques européens. D’abord et avant tout, la guerre en Ukraine, qui entre dans sa quatrième année, crée un climat d’incertitude. La menace russe, qui pèse sur une partie de l’Europe de l’Est et balte, est prise très au sérieux, et donne le sentiment que l’Europe est « gelée ». Ensuite, l’arrêt des livraisons de gaz russe par gazoduc le 1er janvier dernier à la suite de la fin du contrat de transit entre la Russie et l’Ukraine va redessiner les routes européennes du gaz. Bien que cela offre une opportunité pour une transition vers une énergie plus durable et diversifiée, les défis immédiats liés à la hausse des prix et aux risques de pénurie nécessitent une réponse rapide et coordonnée au sein de l’Union européenne.

Or justement l’Europe a bien du mal à parler d’une seule voix. L’instabilité politique des deux moteurs historiques, la France et l’Allemagne, accentue le flou sur l’avenir du Continent. L’Europe n’a plus de voix forte face à un Trump triomphant. La stabilité relative du marché américain par rapport aux incertitudes européennes est devenue un facteur déterminant dans les stratégies d’investissement. À ce propos, le Premier ministre grec, Kyriákos Mitsotákis, a appelé la Commission européenne à la création d’une « task force » dédiée à l’augmentation des flux transfrontaliers d’électricité et au soutien des investissements dans le secteur du gaz. Cette initiative reflète l’urgence pour l’Europe de renforcer sa résilience énergétique, facteur indispensable à toute tentative de réindustrialisation. En ce domaine, Ursula von der Leyen présentera le 29 janvier prochain sa « boussole pour la compétitivité », première initiative majeure de la nouvelle Commission qui doit poser le cadre des futurs travaux sur la base du rapport Draghi.

Autre élément clé, l’insuffisance des investissements en nouvelles technologies et en recherche et développement en Europe. En 2022, les États-Unis ont investi 5 % de leur PIB dans les nouvelles technologies, contre seulement 2,8 % pour la zone euro. Ce décalage crée un environnement où les entreprises européennes cherchent à investir aux États-Unis pour bénéficier de l’innovation et de la productivité plus élevée qui en résulte.

Résultat : 37 % des montants investis par les groupes industriels européens sur les dix premiers mois de 2024 ont ainsi été dédiés à des projets aux États-Unis, contre 33 % pour ceux réalisés sur le Vieux Continent (Royaume-Uni inclus) selon le baromètre mondial des investissements industriels de Trendeo, McKinsey et l’Institut de la réindustrialisation.  

Varsovie à la manœuvre

Du coup, beaucoup de regards se tournent avec espoir vers Varsovie. La Pologne, l’un des membres de l’Otan les plus concernés et les plus vigilants sur la question russe, prend la présidence du Conseil de l’Union européenne avec des ambitions très fortes. Désormais première puissance militaire non-nucléaire du Continent, la Pologne de Donald Tusk compte devenir le point d’équilibre entre Bruxelles et Washington (et la désormais capitale officieuse, Mar-a-Lago). 

Comme le veut la tradition, Varsovie a dévoilé une ébauche de son ordre du jour pour le semestre à venir. Des dossiers épineux, comme les nouvelles techniques génomiques ou le soutien aux revenus des agriculteurs, sont déjà sur la table. Côté affaires étrangères, huit réunions officielles sont prévues avant la fin de ce mandat, la première étant fixée au 27 janvier 2025. Ce calendrier chargé témoigne de l’ambition de Varsovie, mais aussi des attentes placées sur une présidence qui devra jongler entre pragmatisme et vision à long terme dans un contexte international sous tension.

La présidence polonaise se montre aussi déterminée à aborder de front les défis énergétiques actuels. Parmi ses priorités, les négociations sur le règlement concernant le stockage de gaz figurent en bonne place dans un agenda encore provisoire. Ces discussions, prévues pour mars, suffiront-elles à juguler une flambée des prix ? La question reste ouverte, d’autant plus que certains États membres demeurent lourdement dépendants du gaz russe, tandis que les stocks européens atteignent des niveaux problématiques, la moyenne se situant 15 points plus bas que l’hiver dernier en raison des températures plus froides. Cette équation complexe met à l’épreuve la capacité de l’Union à garantir sa sécurité énergétique et à favoriser les filières européennes.

Bruxelles doit donner des gages à Washington

Parmi les priorités affichées, une coopération accrue avec les États-Unis dans les domaines de la défense et de l’énergie, pour réduire la dépendance européenne vis-à-vis des sources d’énergie russes. La diversification, notamment par le biais d’importations de gaz naturel liquéfié (GNL) américain, est une priorité pour réduire une dépendance encore réelle vis-à-vis de la Russie. En 2024, l’Union européenne a d’ailleurs augmenté ses importations de GNL russe (16,5 Mt en 2024 contre 15,2 Mt en 2023) ce qui n’a certainement pas été du goût du nouveau locataire de la Maison Blanche. L’Europe va donc devoir donner des gages.  

L’augmentation des investissements européens aux États-Unis résulte donc d’une combinaison de facteurs économiques, technologiques et géopolitiques. Alors que la croissance américaine continue d’attirer, l’Europe est face à un moment de vérité. Elle n’a plus d’autre choix que d’intensifier ses efforts et ses ambitions pour rester compétitive sur la scène mondiale. C’est là tout l’objectif du règlement industrie zéro émission nette (NZIA) qui a été discuté par les experts industrie des pays membres le 8 janvier dernier. Le nouveau mandat d’Ursula von der Leyen, dont le programme des cent premiers jours multiplie les feuilles de route, plans d’action et autres stratégies, devra rapidement entrer dans le dur.