Face à l’urgence géopolitique, la Banque européenne d’investissement (BEI) revoit de fond en comble sa doctrine : auparavant écartés, les projets de sécurité et de défense deviennent une priorité. Mais pas question pour autant de renoncer à la transition écologique, assure l’institution financière.
« Pour définir notre stratégie, j’utiliserais deux mots : unité et sécurité. Nous sommes à un tournant, des changements profonds sont en train d’arriver, il faut retourner aux fondamentaux, se concentrer sur la sécurité », a expliqué Nadia Calviño, présidente de la BEI, début mars lors du Forum annuel de la BEI au Luxembourg. Face au brusque changement de contexte géopolitique, l’institution revoit sa doctrine pour répondre à l’appel de la Commission européenne, dont le plan « ReArm Europe » doit mobiliser 800 Mds€ pour la sécurité du continent. Une importante délégation ukrainienne était d’ailleurs présente, venue chercher le soutien financier d’une Europe lâchée par la nouvelle administration américaine.
2 Mds€ en 2025
C’est un changement de cap pour la BEI, les projets militaires ne rentrant historiquement pas dans son périmètre d’intervention. Elle étudiait seulement les projets à double-usage, ceux qui présentaient au moins une application civile actuelle ou potentielle. Avec au bilan peu de projets soutenus : la banque a financé en 2024 des programmes liés à la défense et la sécurité à hauteur de 1 Md€, sur les 89 Mds€ investis au total, soit 1,12 %. L’enveloppe de 8 Mds€ prévue pour la période 2022-2027 n’a pour l’instant été consommée qu’à hauteur de 3 Mds€.
Mais l’urgence géopolitique modifie les curseurs. La BEI prévoit un doublement des investissements en 2025, soit 2 Mds€. Son conseil d’administration se réunit le 21 mars pour entériner les nouvelles règles applicables aux projets de défense et sécurité. « Mon objectif est de réduire la liste d’exclusion autant que possible », affirme Nadia Calviño. Ce qui n’est pas sans poser des questions sur le caractère « ESG compatible » de la nouvelle stratégie de la banque publique européenne. « On s’oriente vers une doctrine qui exclurait tout de même les usines d’armes et de munitions. L’idée est que le produit ou service financé puisse par la suite être reconverti en usage civil », explique un membre de la BEI. Une nouvelle définition du double-usage qui permettrait d’abonder à l’effort européen de défense tout en gardant l’ADN ESG.
Base militaire en Lituanie
Le premier projet purement militaire bénéficiant d’un financement de la BEI vient d’être révélé. Il s’agit de la construction d’une base militaire en Lituanie, proche de la frontière biélorusse, sous commandement de l’Otan. Elle sera occupée par des contingents lituaniens et allemands et participera à renforcer la sécurité des frontières à l’Est de l’Union européenne. Elle répond au nouveau principe de double-usage de la BEI car même si son objectif est exclusivement militaire, les bâtiments pourront théoriquement être utilisés un jour à d’autres fins…
Quatorze autres projets confidentiels sont déjà dans le pipe et la banque s’attend à en recevoir de plus en plus. Pour autant, elle n’anticipe pas une explosion des montants consacrés à la défense dans les deux prochaines années. Si tel était le cas, le BEI assure que sa note « AAA » lui permettrait d’emprunter sur les marchés financiers les fonds supplémentaires.
La transition écologique impactée à la marge
Le bras armé de la Commission européenne pour les investissements à long terme s’appuie sur sa capacité à se financer à bas coûts sur les marchés pour rassurer sur sa volonté de continuer à financer la transition écologique. Celle qui aime se faire appeler « Banque européenne pour le climat » rappelle également « près de 60 % de ses investissements en 2024 concouraient à la transition verte, à l’action climatique et la durabilité environnementale », soit 53 Mds€. Une part qui devrait mécaniquement baisser dans les prochaines années avec les investissements dédiés à la défense. Mais Ambroise Fayolle, vice-président chargé du climat, de la transition énergétique et de l’efficacité énergétique, l’assure : au moins la moitié des investissements resteront consacrés à la transition écologique.