Pour leurs 25 ans, les Rencontres économiques d’Aix-en-Provence ont invité 35 think tanks venus du monde entier pour tenter de décrypter les « chocs » et les « réalités » d’un nouveau monde multipolaire, les 3, 4 et 5 juillet. Près de 400 intervenants, dont 135 dirigeants d’entreprise, plancheront sur « la fin du libre-échange », « la fiction du bloc occidental », ou encore « la nouvelle puissance des marchés émergents », dans un programme qui fait la part belle à la géopolitique. Dans un entretien à WARM, Jean-Hervé Lorenzi, fondateur du Cercle des économistes et président des Rencontres, donne sa vision des grands problèmes auxquels sont confrontés les dirigeants.
Comment définiriez-vous le moment de bascule que nous connaissons ?
Jean-Hervé Lorenzi : Trois mots caractérisent ce que nous sommes en train de vivre. Les économistes aiment bien parler de ruptures, ils le font souvent de manière abusive, mais cette fois, nous y sommes : les ruptures sont multiples avec le monde de l’après-guerre et la mondialisation des années 90. Le deuxième mot est violence, tant elle semble partout, immanente, comme cela se produit tous les trois quart de siècle. Le troisième mot est convergence : nous vivons une simultanéité de crises multiples.
Parmi ces crises, laquelle vous semble la plus structurante ?
Jean-Hervé Lorenzi : La plus importante, sans doute, par ses impacts, est gravement sous-estimée : c’est la crise démographique. Nos sociétés sont en passe d’être percutées par le vieillissement de la population. La Chine, par exemple, deviendra sans doute plus belliqueuse, parce qu’elle n’aura plus assez de bras et de jeunesse pour nourrir sa croissance, financer son développement et la vie de ses retraités. Le coût du vieillissement sera considérable, y compris en Europe.
Ce phénomène du vieillissement va aussi entraîner des flux de population sans précédent qui créeront inévitablement des tensions dans plusieurs grandes régions du monde. Cette crise aura enfin une dimension financière considérable, ajoutant des milliards de dette, dans une proportion qu’on ne sait pas résoudre aujourd’hui.
La transition environnementale va-t-elle faire les frais de ce contexte inédit dont vous soulignez la gravité ?
Jean-Hervé Lorenzi : Il y a et il y aura un recul, net, mais ça ne veut pas dire un abandon, car nous assistons à un ralentissement très marqué de l’économie mondiale. Peut-être pour une décennie. Pour des raisons multiples : la démographie dont nous venons de parler, la financiarisation excessive de l’économie, l’explosion des inégalités et la faiblesse de la productivité. Ce dernier point étant une véritable énigme pour les économistes : il n’y a pas de création de richesse sans gains de productivité, or dans l’économie d’aujourd’hui, nous ne les voyons pas dans nos statistiques…
C’est dans ce contexte que les entreprises vont devoir arbitrer leurs investissements. Et du côté des États, le poids de la dette publique mondiale et la nécessité d’investir dans la défense vont forcément avoir un impact sur le rythme de la décarbonation de nos économies. Le rythme envisagé il y a encore deux ans en Europe à travers le « Green Deal » ne paraît plus soutenable aujourd’hui. Il est fort peu probable, par exemple, que l’industrie automobile allemande se conforme à ses engagements passés.
Dans ce nouveau monde, l’Europe a-t-elle une carte à jouer ?
Jean-Hervé Lorenzi : Oui et c’est clairement l’Afrique qui sera le continent du XXIe siècle, avec de la croissance, une jeunesse, et des besoins considérables en énergies décarbonées, en eaux, en infrastructures, en équipements… L’Europe et ses entreprises devront réussir à nouer des accords respectueux, dans un intérêt général bien compris. Elles ont une opportunité historique à saisir.
NB : WARM by 2050NOW est partenaire des Rencontres économiques d’Aix. Vincent Giret animera le débat « Atteindre la neutralité carbone », le samedi 5 juin à 15h30, avec notamment Claude Imauven, président du conseil d’administration d’Orano et l’économiste Katheline Schubert.