Les entreprises font face à de plus en plus de plaintes visant à les rendre juridiquement responsables de dommages climatiques passés, en cours ou futurs. Mais les motifs invoqués sont multiples. Voici les trois principaux en France.
Greenwashing : le plus répandu dans le monde
Au niveau mondial, ce motif est le plus souvent invoqué dans les contentieux climatiques contre les entreprises, selon une étude de Joana Setzer et Catherine Higham, chercheuses au Grantham Research Institute (London School of Economics).
En France, il se développe depuis la loi climat et résilience de 2021, qui a explicitement reconnu le greenwashing comme une « pratique commerciale trompeuse ». Rappelons qu’une pratique commerciale est dite trompeuse « lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur »,selon les termes de l’article L.121-2 du Code de la consommation.
Depuis le 1er janvier 2023, il est ainsi interdit aux annonceurs d’affirmer dans une publicité qu’un produit ou un service est neutre en carbone (ou formulation équivalente) si des mesures concrètes ne sont pas prises pour cela — notamment : un bilan d’émissions de gaz à effet de serre du produit ou service sur l’ensemble de son cycle de vie, tenu à jour annuellement ; une démarche pour, en priorité, éviter les émissions, les réduire, et les compenser ; une trajectoire de réduction des émissions, au minimum sur dix ans, actualisée tous les cinq ans. Aucune augmentation des émissions unitaires n’est possible entre deux années. Un rapport mis à jour annuellement permet d’informer le public sur chacun des points précédents.
Ce motif est encore peu développé en France, mais la condamnation de TotalEnergies sur ce fondement en octobre dernier (cf. papier principal) ouvre la voie à d’autres affaires du même type.
Préjudice écologique : le précédent de l’Erika
Le préjudice écologique joue un rôle important dans le contentieux climatique à l’échelle mondiale. En droit français, la notion a été consacrée par la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (dite « loi Biodiversité »), qui a introduit l’idée selon laquelle « toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer ».
Le préjudice écologique a été en réalité reconnu pour la première fois en France à la suite du naufrage du pétrolier Erika au large de la Bretagne en 1999, par une décision de 2008. Ce fondement juridique reste toutefois peu utilisé par rapport au devoir de vigilance. « Plusieurs décisions récentes ont reconnu le préjudice écologique lié au changement climatique. Cependant, la question de la réparation pécuniaire du préjudice écologique demeure encore à clarifier », explique le cabinet d’avocats Alérion. TotalEnergies est la première société en France mise en cause sur le double fondement de la réparation du préjudice écologique et de l’insuffisance de son plan de vigilance, en janvier 2020
Devoir de vigilance : les textes se clarifient
Le non respect du « devoir de vigilance » est devenu un fondement juridique essentiel dans les contentieux climatiques en France. Ce motif repose sur une loi pionnière votée en 2017 « relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre ». Laquelle impose aux sociétés de plus de 5 000 salariés en France (ou plus de 10 000 dans le monde) d’élaborer, de publier et de mettre en œuvre un plan de vigilance qui contient des mesures adaptées d’identification des risques et de prévention des atteintes aux droits humains et aux libertés fondamentales, à la santé et à la sécurité de personnes, et à l’environnement.
Le plan de vigilance doit notamment contenir les mesures suivantes : cartographie des risques ; procédure d’évaluation régulière de la chaîne de valeur ; actions adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves ; mécanisme d’alerte et de recueil des signalements ; dispositif de suivi des mesures mises en œuvre et d’évaluation de leur efficacité.
Au total, près d’une trentaine de plaintes ont été déposées avec ce motif, mais moins d’une demi-douzaine concernent le climat. « Ce motif est en développement, mais pas sûr que les condamnations augmentent, car les plans de vigilance s’améliorent et les textes se clarifient », assure Sophie Schiller, professeur de droit privé à Dauphine et membre du comité scientifique de l’Association pour le management des risques et des assurances de l’entreprise (Amrae).
Sandrine Trouvelot