Washington et Kiev se rapprochent d’un accord-cadre sur l’exploitation de minerais ukrainiens avec un possible développement conjoint. Quelles sont les ressources stratégiques de l’Ukraine tant convoitées par les États-Unis ? Inventaire de ces richesses essentielles pour les nouvelles technologies et l’industrie de la défense.
Lundi 17 février, Donald Trump provoquait la stupeur en annonçant une négociation avec Kiev visant à échanger l’aide militaire américaine contre des ressources naturelles ukrainiennes. « Nous cherchons à conclure un accord avec l’Ukraine dans lequel elle garantira ce que nous lui donnons avec ses terres rares et d’autres éléments », déclarait le président américain en quête d’un deal comme il les affectionne. Une proposition rejetée par Volodymyr Zelensky qui a jugé inacceptable un pré-contrat léonin, déclenchant la fureur de Donald Trump. Dix jours plus tard, au terme de négociations tendues, le président ukrainien, qui devrait se rendre à Washington ce 28 février, espère sauver une partie de ses terres dans le cadre d’un partenariat plus équitable avec les Américains.
Ce projet d’accord-cadre a d’ores et déjà été adoubé par Emmanuel Macron lors de sa rencontre avec son homologue américain. « L’accord que vous vous apprêtez à signer et notre discussion sont pour moi des garanties solides », a-t-il affirmé le 24 février. De son côté, Donald Trump a insisté sur la nécessité d’un partage des responsabilités en matière de sécurité internationale, se disant « ravi que le président Macron s’accorde avec le fait que le fardeau de la sécurisation de la paix ne doit pas être porté par les États-Unis », tout en soulignant que « l’Europe doit jouer un rôle central ». Les États-Unis sont en effet, en valeur brute, le premier contributeur financier de l’Ukraine, bien que cet effort ne représente qu’une part relativement modeste de leur PIB (classant le pays au 17e rang en termes d’effort relatif au PIB).
Mais quelles sont ces ressources stratégiques convoitées par les Américains ? Si Donald Trump a d’abord parlé de « terres rares », la réalité du sous-sol ukrainien est un peu différente.
Des terres rares pas faciles à exploiter
Les terres rares regroupent 17 éléments métalliques du tableau périodique ayant des propriétés chimiques proches, prisés pour leurs propriétés chimiques, magnétiques et optiques. Elles sont indispensables à de nombreuses technologies de pointe, des éoliennes aux smartphones en passant par les batteries pour les véhicules électriques, ainsi qu’à des secteurs plus traditionnels comme la métallurgie.
Contrairement à ce que leur appellation suggère, les terres rares ne sont pas si rares. Elles sont même relativement abondantes dans la croûte terrestre, mais leur extraction est souvent complexe et coûteuse. Certains minerais en contiennent à haute concentration, tandis que d’autres, plus pauvres, ne sont exploitables que dans des conditions économiques très spécifiques nécessitant des investissements importants : cela n’est rentable que dans quelques cas particuliers et à long terme.
Or, l’Ukraine ne figure pas parmi les principaux pays producteurs ou à fort potentiel de terres rares, selon le U.S. Geological Survey. Même si certaines zones du pays montrent des indices de présence de ces éléments, cela ne signifie pas qu’elles soient exploitables, une teneur trop faible privant l’extraction de toute viabilité. Un document de l’Ukrainian Geological Survey stipule ainsi que « le site de Novopoltavske est le plus grand gisement de phosphate et de terres rares au niveau mondial » alors qu’un autre document du State Geologic and Subsoil Survey of Ukraine affirme que l’exploitation de ces terres serait « hors bilan », pour des raisons économiques ou technologiques.
De plus, certaines de ces zones se situent en territoires occupés par la Russie, notamment entre les régions du Donetsk et de Zaporijjia. Leur exploitation est donc très incertaine, même si Moscou, dans le cadre du rapprochement en cours avec Washington, pourrait coopérer avec les États-Unis pour extraire les ressources présentes dans sa zone de contrôle.
Des réserves de minéraux critiques
Si l’Ukraine ne possède pas de gisements significatifs de terres rares, elle détient en revanche des réserves notables de minéraux dont certaines matières premières essentielles à l’industrie, notamment de la défense et du numérique, et à la transition énergétique.
Face à la pression croissante sur ces ressources, les États-Unis et l’Union européenne ont chacun établi une liste de minéraux jugés critiques. En 2022, le U.S. Geological Survey en a recensé 50, tandis que l’UE a identifié 34 éléments clés en 2024. L’objectif : garantir un approvisionnement sûr et diversifié, alors que la Chine détient encore une position dominante sur le marché des terres rares et d’autres métaux stratégiques.
L’Ukraine se distingue dans ce contexte par ses réserves d’uranium, titane, lithium et graphite, qui figurent bien sur la liste américaine des minéraux critiques.
Des documents ambigus alimentent la confusion
Si le président américain a commis une approximation en évoquant les terres rares, il n’est pas le seul à avoir entretenu cette ambiguïté. Un rapport du Ukrainian Geological Survey et du ministère de l’Écologie et des Ressources naturelles d’Ukraine, intitulé Critical Minerals Portfolio, mentionne des opportunités d’investissements miniers pour une centaine de projets, incluant des éléments comme l’ilménite, le rutile, le zircon, le lithium ou encore les terres rares.
Cette mise en avant des ressources ukrainiennes s’explique aisément : le pays cherche à attirer des investisseurs étrangers dans un contexte économique très difficile. Toutefois, exploiter ces ressources nécessite des garanties de sécurité et des infrastructures adaptées. L’Ukraine met donc en avant ses gisements de matières premières, notamment l’uranium, qui pourraient réduire la dépendance de l’Europe vis-à-vis de la Chine et de la Russie.
Un autre document de cinq pages, publié en décembre 2024 par le NATO Energy Security Centre of Excellence présente l’Ukraine comme un « important fournisseur potentiel de métaux des terres rares, notamment de titane, lithium, béryllium, manganèse, gallium, uranium, zirconium, graphite, apatite, fluorine et nickel ». Seul petit problème : aucun de ces éléments ne fait partie des terres rares ! Bien qu’ils figurent dans la liste des minéraux critiques américains.
Des enjeux stratégiques
En somme, si l’Ukraine n’est pas une puissance des terres rares, elle reste un acteur incontournable dans la bataille pour les ressources naturelles indispensables à l’industrie et à la transition énergétique. Le pays pourrait jouer un rôle stratégique dans la diversification des chaînes d’approvisionnement occidentales face à la domination chinoise. C’est d’ailleurs l’objectif du mémorandum de partenariat stratégique sur les matières premières signé dès 2021 entre l’Union européenne et Kiev.
Mais aujourd’hui, la donne géopolitique a changé et ce sont les États-Unis qui tentent de faire main basse sur cette richesse enfouie dans les sols en contrepartie de leur aide.