Montée des tensions, phénomènes climatiques extrêmes : le secteur maritime est particulièrement exposé aux défis géopolitiques et climatiques. Pour Samira Draoua, CEO de LD Armateurs depuis juillet dernier, il doit s’adapter en permanence tout en faisant preuve d’audace pour saisir les opportunités.
Vous dirigez LD Armateurs, un acteur majeur du transport maritime et de la pose de câbles sous-marins. Avant d’aborder les défis actuels, pourriez-vous rappeler l’importance du secteur maritime dans l’économie mondiale ?
Samira Draoua : Le maritime est le poumon invisible de l’économie mondiale. Aujourd’hui, entre 90 et 95 % des marchandises transitent par la mer. Et ce n’est pas tout : 99 % des données numériques voyagent sous les océans, via des câbles que nous posons. Pourtant, ce secteur reste largement méconnu. Quand on parle de transport maritime, on pense souvent aux conteneurs, mais les deux tiers du trafic concernent en réalité le vrac, céréales ou pétrole. Chez LD Armateurs, nous sommes présents sur trois activités : le transport, la pose de câbles et les énergies renouvelables en mer.
Le réchauffement climatique et la transition écologique ont des impacts majeurs sur le transport maritime. Comment les vivez-vous au quotidien ?
Samira Draoua : La mer n’est plus ce grand espace bleu serein où l’on pouvait naviguer sans entraves. Elle est aujourd’hui fracturée, soumise à des tensions climatiques et géopolitiques. Prenez l’exemple du canal de Panama l’an dernier : le phénomène El Niño a asséché les écluses, réduisant le trafic de 70 % en 24 heures. Résultat, les navires ont dû emprunter le cap Horn, avec des coûts et des délais multipliés. Autre exemple, la crise en mer Rouge : les attaques des Houthis ont quasi fermé le canal de Suez, un axe vital pour le commerce mondial. Ces événements ont un impact immédiat sur nos activités, qu’il s’agisse du transport ou de la pose de câbles.
Comment gérez-vous ces perturbations ?
Samira Draoua : La seule réponse possible, c’est l’adaptabilité. Quand un canal se ferme, il faut rerouter les navires, replanifier les équipages, gérer la logistique à bord – y compris la nourriture, car 10 ou 15 jours de retard, c’est du frais qui manque et une ambiance qui se dégrade. La marine nationale joue un rôle clé pour sécuriser les routes, notamment en mer Rouge. Sans elle, nous ne pourrions pas passer. Mais au-delà de la sécurité, il faut aussi anticiper les investissements : faut-il commander un nouveau navire, développer de nouvelles routes ? Chaque décision est un pari sur l’avenir.
La fonte des glaces en Arctique ouvre de nouvelles routes maritimes. Est-ce une opportunité ?
Samira Draoua : Effectivement, le passage du Nord-Est ou du Nord-Ouest pourrait réduire de 30 % la distance entre l’Europe et l’Asie. Mais attention, cette route n’est pas encore mature : il n’y a ni ports, ni infrastructures de sauvetage. Les Russes ont une avance stratégique avec leurs brise-glaces nucléaires, mais les risques restent élevés, notamment pour la pose de câbles. Nous étudions ces opportunités avec nos clients, car la sécurité prime sur le raccourci. Transport de pièces pour Airbus, câbles sous-marins, chaque projet est unique et nécessite une approche sur mesure.
La décarbonation est un enjeu majeur pour le secteur. Quelle est la stratégie de LD Armateurs ?
Samira Draoua : En Europe, la décarbonation est une obligation, contrairement aux États-Unis qui ont relâché leurs efforts. Chez LD Armateurs, nous voyons la décarbonation comme une véritable opportunité, et nous innovons en interne. Le défi, c’est de choisir la bonne technologie : méthanol, GNL, e-méthanol… Les navires commandés aujourd’hui ne seront livrés que dans trois ou quatre ans, chaque décision est un pari. Nous avons trois navires bas carbone en construction pour un client majeur. Nous anticipons une réduction de 50% des émissions de la flotte, notamment grâce à l’utilisation de rotors éoliens. Après un siècle de fioul, nous revenons à des solutions plus anciennes, mais modernisées.
Vous êtes la seule femme à diriger un groupe maritime en France, et la première d’origine algérienne. Que représente cette position pour vous ?
Samira Draoua : Je suis effectivement la seule femme CEO dans ce secteur, mais je ne suis pas tombée dans la marmite du maritime petite. J’ai d’abord dirigé une entreprise numérique, où j’étais aussi la seule femme CEO. Le problème n’est pas le secteur, mais le nombre de femmes aux postes de direction. Venir d’Algérie ? J’ai grandi face à la mer, à Alger, et je n’imaginais pas retrouver la mer par ce biais. Certains titres de presse ont souligné mon origine, mais je suis là pour le travail, pas pour les symboles.