Les relations sont au beau fixe entre Brasilia et Pékin, en accord sur la stratégie de transition énergétique à l’heure où Washington s’en désengage. Les groupes chinois en profitent pour investir massivement au Brésil.
Entre la Chine et le Brésil, les affaires vont bien. « Nos relations sont à leur meilleur moment de l’histoire », a déclaré le président chinois Xi Jinping en août, après un appel d’une heure avec son homologue brésilien. Si le rapprochement entre les deux pays a commencé il y a déjà un certain temps, il s’est nettement accentué depuis le début du troisième mandat de Lula et devrait s’intensifier encore à la suite de la décision des États-Unis d’imposer des droits de douane de 50 % sur un nombre important de produits brésiliens. Une mesure unilatérale qui renforce, au Brésil, la perception de la Chine comme un partenaire commercial plus fiable, et un pays mieux aligné sur les priorités du gouvernement brésilien, notamment en matière de transition énergétique.
Pékin, premier partenaire commercial
La Chine a dépassé les États-Unis en tant que premier partenaire commercial du Brésil en 2009. Depuis la première visite de Lula dans l’empire du Milieu, en 2004, les échanges commerciaux ont été multipliés par plus de 17. En 2023, le commerce bilatéral a atteint un record de 157,5 Mds$, avec un excédent inédit pour le Brésil de 51 Mds$. En matière de destination des investissements chinois à l’étranger, le Brésil se classe au quatrième rang. C’est aussi le principal récipiendaire des investissements chinois dans le secteur de l’énergie, avec plus de 50 Mds$ d’investissements directs entre 2005 et 2022.
Au-delà de l’énergie, Pékin renforce progressivement sa présence au Brésil à travers des investissements dans l’agriculture et la sécurité alimentaire, la défense, les technologies de pointe, l’industrie automobile, un programme satellitaire conjoint, ainsi que dans des infrastructures stratégiques comme les ports. En mars, le géant chinois du commerce agricole Cofco a lancé ses activités dans ce qu’il décrit comme le plus grand terminal portuaire du port de Santos, sur la côte de São Paulo.
Autre signe de l’approfondissement des relations : lors du sommet des BRICS en juillet, les deux États ont annoncé un projet de corridor ferroviaire bio-océanique entre les régions agricoles du Brésil et le Pérou, largement financé par Pékin car il permettrait de faciliter les exportations de soja ou maïs brésiliens vers la région Asie-Pacifique. Cette année également, le constructeur automobile chinois BYD a lancé sa première voiture électrique entièrement fabriquée dans sa nouvelle usine de Camaçari, en Bahia. Il s’agit de la première usine de l’entreprise en dehors de l’Asie, installée sur un site qui appartenait autrefois au géant américain Ford. Un symbole entaché par des révélations sur des sous-traitants faisant travailler leurs ouvriers dans des conditions d’esclavage. Malgré sa répercussion, l’affaire BYD ne devrait pas compromettre les investissements chinois dans le pays, même si elle en illustre les contradictions.
Les investissements se multiplient
La transition énergétique est devenue un axe central de la stratégie chinoise en Amérique latine, à un moment où les États-Unis de Donald Trump se détournent complètement de cette question. Bien que restant l’un des principaux pollueurs de la planète, la Chine est devenue, au cours de la dernière décennie, le leader mondial des investissements dans la transition énergétique. Entre 2019 et 2022, la capacité éolienne contrôlée par des entreprises chinoises en Amérique latine a doublé, passant de 1,4 GW à 3,2 GW, tandis que la capacité solaire a quasiment quadruplé sur la même période, de 363 MW à environ 1,4 GW.
Au Brésil, les entreprises chinoises ont renforcé leur présence dans la production, le transport et la distribution d’électricité – principalement par l’acquisition d’actifs, et dans une moindre mesure, par la construction de nouveaux projets, comme le souligne une étude de 2024 de l’Institut de recherche en économie appliquée (Ipea).
En 2010, la State Grid Corporation of China a choisi le Brésil pour effectuer son premier engagement important en dehors du continent asiatique, en créant State Grid Brazil Holding. Celle-ci a multiplié les investissements au point de devenir l’une des principales entreprises d’énergie du pays avec plus de 16 000 kilomètres de lignes de transmission traversant désormais 13 États, l’équivalent d’environ 10 % du réseau à haute tension au Brésil.
Autre exemple, l’arrivée de la China Three Gorges corporation (CTG) avec la création de la CGT Brasil en 2013. L’entreprise a d’abord acheté des parts dans des usines hydroélectriques dans le Mato Grosso et Amapa. En 2016, la CTG commence à opérer les usines hydroélectriques de Jupiá et Ilha Solteira et achète huit usines hydroélectriques à l’américain Duke Energy. Aujourd’hui, elle est présente dans 10 États, possède des actifs dans 12 parcs éoliens et un complexe solaire photovoltaïque. Pékin est aussi actif dans les énergies fossiles : les grandes compagnies pétrolières publiques chinoises – CNPC, Sinopec, Sinochem et CNOOC – sont présentes au Brésil depuis la découverte du gisement du pré-sal.
L’enjeu des minerais stratégiques
Pour la Chine, le Brésil est également source d’intérêt accru grâce à 21 millions de tonnes de réserves de terres rares, la deuxième réserve la plus importante au monde. Le pays détient plus de 90 % des réserves mondiales connues de niobium, concentrées dans la mine d’Araxá dans le Minas Gerais, opérée par le brésilien CBMM. En 2011, un consortium d’entreprises chinoises a pris une participation de 15 % à son capital. Le Brésil est également un acteur central dans l’extraction et l’exportation de nickel.
L’achat par le chinois MMG des actifs de fer et de nickel – Barro Alto et Codemin – de l’entreprise Anglo American pour environ 500 M$ en février de cette année s’inscrit dans le cadre plus large de l’approvisionnement en matières premières pour la production de véhicules électriques dans le pays. Pour le Brésil, comme pour d’autres pays d’Amérique latine, l’enjeu est d’investir dans ses propres politiques industrielles et de recherche et de développement afin d’aller vers des activités avec plus de valeur ajoutée. Et donc d’éviter le piège que représente le fait d’uniquement fournir des matières premières.
Si certaines voix s’élèvent au Brésil pour dénoncer les risques d’une trop grande dépendance vis-à-vis de la Chine, elles se font aujourd’hui moins entendre, surtout depuis l’imposition des droits de douane américains. Trump avait en partie justifié cette mesure par les poursuites judiciaires engagées contre son allié, l’ex-président d’extrême droite Jair Bolsonaro. Une part croissante du secteur privé et de la classe politique considère désormais la Chine comme un partenaire économique de long terme, plus stable et pragmatique que les États-Unis – qui n’en sont pas à leur première tentative d’ingérence dans les affaires de ses voisins du sud. Après l’annonce de Trump, la Chine a pris la défense du Brésil et a déclaré son intention d’élargir ses importations de produits clés brésiliens, tels que le café, la viande et les céréales. Une réponse fort appréciée par Brasilia.
Éléonore Hughes