Longtemps dénoncée pour ses émissions de CO2, la Chine domine aujourd’hui la course mondiale vers la transition bas carbone. Derrière cette mue spectaculaire : une prise de conscience sociétale de l’urgence écologique, la crainte du Parti d’une instabilité sociale et politique, un soutien financier public massif et une judicieuse stratégie industrielle de long terme. Pékin voit désormais dans le recul trumpien une opportunité rêvée pour vendre au monde ses solutions industrielles.

Cet hiver, l’allocution télévisée de Xi Jinping à l’occasion du nouvel an lunaire, vue par près d’un milliard de téléspectateurs, était franchement écologique : « Cette année, les pommes « Huaniu » de Tianshui étaient rouges et mûres, et les pêcheurs du village d’Aojiao à Dongshan ont eu des prises abondantes » et de poursuivre : « Le développement vert et à faible émission de carbone s’approfondit, et la construction d’une Chine belle s’accélère. » C’est un peu comme si un clip de la Maison Blanche vantait la protection de l’environnement pendant l’entracte du Superbowl. Improbable tant, du côté américain, l’heure est au « Drill baby, drill », cette formule fétiche d’un Donald Trump avocat des énergies fossiles qui résume à elle seule le fossé béant le séparant de son homologue chinois.

Pour tourner la page d’un secteur immobilier aux promoteurs endettés et dépasser les tensions commerciales avec les États-Unis, « l’atelier du monde » a semé les graines de sa croissance à venir : l’exportation partout de ses solutions contre le réchauffement climatique, à mesure que la mobilisation devient planétaire. « L’énergie verte est extrêmement importante pour la modernisation et le développement de l’économie chinoise, mais aussi pour la modernisation et le développement dans le monde entier », estime Dong Shaopeng, chercheur à l’Institut Chongyang pour les études financières, auprès de l’université du Peuple de Pékin.

Les émissions de CO2 en baisse

Qu’il s’agisse de l’éolien, du solaire, de l’hydrogène, du stockage d’énergie décarbonée ou de la mobilité électrique, la Chine a réussi en moins de vingt ans à créer dans chaque domaine l’ensemble de la chaîne de valeur, depuis la recherche jusqu’à la production manufacturière en passant, autant que possible, par l’extraction des matières premières. Cette mue spectaculaire, menée tambour battant, lui permet d’afficher des résultats sur lesquels personne ou presque n’aurait misé : si la Chine demeure le plus gros émetteur au monde (33 %), elle semble bien avoir atteint son pic d’émissions de CO2 en février-mars 2024. Pour la première fois, ses émissions sont en diminution (-1,4 %) sur la même période en 2025, selon le très sérieux CREA, le centre finlandais de recherche en énergie.

Mieux : « les émissions du secteur électrique (58 % du total) ont cessé de croître alors même que la consommation d’électricité a été dynamique, analyse l’économiste Christian de Perthuis, ce qui signifie que la totalité de la croissance a été obtenue grâce à l’électricité décarbonée, le solaire et l’éolien principalement dont le déploiement a battu en 2024 et 2025 tous les records antérieurs. » C’est un point clé dans la lutte contre le réchauffement climatique : de la réussite de la Chine dépend en grande partie la possibilité, ou non, de passer le pic mondial des émissions durant la décennie 2020.

Comment en est-on arrivé là ? Il faut remonter aux années 2000. À cette époque, la Chine prépare ses Jeux olympiques et l’épais smog pékinois déroute les téléspectateurs du monde entier, atterrés par ces images de piétons et cyclistes contraints de porter des masques antiparticules. En 2006, la Chine vient de dépasser les États-Unis comme premier pays émetteur de CO2.

Déjà brocardée pour son régime autoritaire, elle écope alors d’une étiquette encore plus abominable : celle du plus grand pollueur de la planète. Il est vrai que le pays a la fièvre bâtisseuse, son urbanisation est effrénée. Et les centrales à charbon tournent à plein régime pour nourrir les industries, en particulier le ciment et l’acier, d’autant que les gisements de Mongolie intérieure sont infinis. Tout cela garantit à la Chine une croissance annuelle à deux chiffres – 12,7 % en 2006 puis 14,2 % en 2007 – et un air gorgé de particules fines PM10 et PM2,5.

Des craintes pour la santé et l’instabilité sociale

Le déclic viendra un peu plus tard. En 2015, Chai Jing, journaliste vedette de la télévision d’État, dévoile son documentaire choc : « Sous le dôme ». Il montre combien la Chine est devenue l’Empire de l’air impur et en explore les conséquences sur la santé publique. Salué par le ministre de l’Environnement de l’époque, ce film a été visionné 155 millions de fois sur les plateformes avant d’être finalement retiré par les autorités, craignant des manifestations. Il marque toutefois un tournant dans la prise de conscience écologique du pays.

Le gouvernement réalise quant à lui que la pollution peut devenir un facteur d’instabilité sociale. Alors il dégaine les mesures. À partir de 2015, dans les grandes villes, seules les voitures électriques peuvent obtenir une immatriculation automatique, les voitures thermiques devant dorénavant soumettre leurs immatriculations à des enchères ou des loteries pour pouvoir circuler. En 2017, le gouvernement fait fermer provisoirement jusqu’à 40 % de ses usines pour les pousser à vite se mettre en conformité et déplace des industries lourdes loin des populations. « Les montagnes vertes sont des montagnes d’or. L’environnement écologique lui-même est l’économie. Protéger l’environnement, c’est développer la productivité », dit le président Xi Jinping pour expliquer qu’une industrie moderne est finalement une industrie durable, qui consomme peu et ne gâche pas les ressources.

L’État chinois s’appuie aussi sur un outil bien rodé : les plans quinquennaux, dans une économie administrée. En 2015, le XIIIe plan est l’occasion de lancer le « Made in China 2025 » : il faut donc moderniser l’industrie, améliorer sa productivité grâce à l’automatisation et réduire sa dépendance aux technologies étrangères.

Le plan impose aussi un premier objectif strict sur le mix énergétique : atteindre les 15 % d’énergies renouvelables pour 2020. Devant l’ONU, en 2015, Xi Jinping appelle à unifier au maximum les réseaux électriques des différents pays. L’électrification croissante de la Chine devra profiter aux pays frontaliers… la diplomatie du gigawatt pour horizon. Le XIVe plan quinquennal, en 2021, promet un pic des émissions de CO2 avant 2030 et la neutralité carbone d’ici 2060. En 2024 enfin, la Chine dispose de deux fois plus de capacités éoliennes et solaires que tous les autres pays réunis. Et malgré une demande croissance d’électricité, au diapason d’un niveau de vie de sa population qui s’améliore, le pays voit donc ses émissions de CO2 reculer.

Cascade d’argent public

Cette transition énergétique orchestrée par le politique ne s’est concrétisée qu’en raison d’une cascade de subventions et d’investissements publics, à la fois nationaux et locaux. Lesquels servent aussi, au passage, à un rattrapage économique rapide des provinces de l’intérieur des terres, utilisées comme laboratoires.

« Dans une couvée, c’est souvent l’oisillon le plus faible qui volera le premier, qui volera le plus haut et le plus loin », affirmait Xi Jinping en 1988, alors petit officiel citant un poète chinois du XVIe siècle pour déplorer la pauvreté d’un comté du Fujian qu’il inspecte.

À partir de 2009, l’Anhui – une autre province pauvre – reçoit les crédits du gouvernement central à condition qu’elle s’engage pleinement dans l’industrie bourgeonnante de la voiture électrique. Elle doit contribuer à l’objectif national : qu’il s’achète en Chine 500 000 voitures électriques et hybrides rechargeables d’ici 2011 (le chiffre a frôlé les 11 millions en 2024). Cela tombe bien car Hefei, sa capitale, abrite Gotion, fabricant déficitaire de batteries pour bicyclettes électriques. L’entreprise subventionnée bifurque alors vers les véhicules à quatre roues et change de dimension : avec ses 28 000 salariés, elle multiplie aujourd’hui à l’étranger les gigafactories (lire notre article dédié).

L’Anhui fait ensuite les yeux doux aux entreprises de la tech verte installées sur les zones côtières, dans l’esprit du plan « Made in China 2025 ». Le constructeur shanghaïen de voitures électriques, Nio, est au bord de la faillite quand, en 2020, des entreprises publiques de l’Anhui proposent de le renflouer.

En contrepartie, Nio doit déplacer son centre de recherche et construire sa prochaine usine à Hefei, la capitale. Dans la foulée, Nio est rejoint par Volkswagen. Présent en Chine depuis 40 ans mais victime de ventes en chute libre, le constructeur allemand installe son usine de la dernière chance à Hefei : truffée de robots Kuka, elle fabrique une voiture électrique toutes les deux minutes. S’y ajouteront peu après un centre de recherche et développement dédié aux voitures électriques compactes et une école : le Volkswagen College ouvert l’an dernier, main dans la main avec l’Université des Sciences et des Technologies de Hefei, pour former la jeunesse à l’ingénierie de la voiture électrique.

Aujourd’hui, la Chine produit 85 % des panneaux solaires dans le monde, une majorité des batteries lithium-ion comme des turbines éoliennes. Elle dispose, on le sait, des plus grosses capacités installées pour le solaire et l’éolien, ainsi que du plus vaste marché pour les véhicules électriques. Le pays a aussi massivement investi dans les réseaux électriques intelligents, les stations de stockage et les interconnexions longues distances.

Offensive internationale

Sur cette base industrielle consolidée, la Chine est passée à l’offensive à l’international : exportation massive de ses équipements à bas prix partout dans le monde, des panneaux solaires aux voitures électriques. Un seul chiffre : en dix ans, les ventes de voitures chinoises en Europe ont augmenté de plus de 4 000 % ! Des groupes comme CATL (batteries), LONGi (solaire) ou Goldwind (éolien) dominent leurs secteurs au niveau mondial. Des entreprises militaires auront, au passage, discrètement participé à leur succès. À Leshan, par exemple, province du Sichuan, l’une d’elles exploite d’importantes carrières de silice qu’elle raffine jusqu’à l’obtention de polysilicium, nécessaire aux cellules photovoltaïques.

Cette marche vers l’export va croissante pour compenser un marché domestique morose. Il faut trouver des débouchés internationaux pour ne pas disparaître. Et quand l’Occident dénonce une « surcapacité » industrielle, la Chine voit les choses autrement. « Nous assistons à une volatilité des relations sino-américaines, un changement de l’ordre commercial mondial et une insuffisance de la demande mondiale », observe le chercheur Dong Shaopeng.

Il faut donc aller stimuler cette demande mondiale. Parmi les débouchés possibles, figurent les chantiers publics à l’étranger. Centrales solaires en Égypte, parcs éoliens en Éthiopie et offshore au Brésil, barrages hydroélectriques en Angola… : la Chine multiplie les projets énergétiques pharaoniques dans le Sud, soit une version bas-carbone des Nouvelles routes de la soie, suscitant parfois des accusations de dumping et une levée des protectionnismes. Elle entend profiter du repli américain pour cibler les marchés asiatiques, africains et s’appuyant sur ses relations au sein des BRICS qui réunissent déjà la moitié de la population mondiale.

Encore beaucoup de charbon

Ce modèle chinois n’est pourtant pas encore la panacée au plan national : le pays repose sur le charbon pour stabiliser son réseau, notamment lors des pics de consommation. Et certaines provinces, le Shaanxi et le Shanxi, continuent de construire des centrales thermiques. En 2024, la Chine a lancé la construction de 94,5 gigawatts de nouvelles centrales, un niveau record depuis 2015.

Qu’ils soient fabricants étrangers ou chinois d’éoliennes, de voitures électriques, de scanners et autres appareils électroniques, les acheteurs de terres rares chinoises bon marché n’en ont jamais payé le coût environnemental. Ils ignorent ou font mine d’ignorer que l’injection massive de produits acides dans le sol pour en extraire les éléments de terres rares de manière économique a dévasté plusieurs sites de la province du Jiangxi et de Mongolie-Intérieure. Ses conséquences sur la santé humaine ont aussi été déplorées par des chercheurs chinois. Principalement responsables, les mines illégales ont fermé. L’activité est aujourd’hui contrôlée par six entreprises d’État mais c’est l’État chinois qui, seul, supporte le coût du nettoyage des terres, soit plus de cinq milliards de dollars.

Parce qu’elles appartiennent à des secteurs émergents, les industries vertes ne représentent encore que 5 % du PIB chinois tandis que l’immobilier, même en souffrance, pèse pour 17 %. « Le PIB généré par l’énergie verte va continuer d’augmenter, celui généré par l’immobilier va continuer de baisser mais il restera un secteur important », souligne Dong Shaopeng. « Parce que cette industrie verte implique aussi la construction de routes, de parcs, d’entrepôts high-tech et l’immobilier saura se mettre au niveau pour lui servir de support. Mais on ne laissera plus se créer de nouvelle bulle immobilière, cela coûte trop cher… » La Chine demeure un immense chantier.

Un article de notre correspondant à Pékin