Dans un contexte géopolitique perturbé, le Brésil se prépare à accueillir la COP30 à partir du 10 novembre à Belém, au cœur de l’Amazonie. Un rendez-vous majeur pour la planète et pour la place de ce pays de 212 millions d’habitants dans le jeu des nations. Ouvert au dialogue avec toutes les puissances, le président Lula espère imposer des engagements forts pour l’environnement et redonner de la vigueur au multilatéralisme.
Depuis son retour aux commandes du Brésil en janvier 2023, le président de gauche Luiz Inácio Lula da Silva défend le multilatéralisme à chaque occasion. Une nouvelle fois, ce thème était au cœur de son discours à l’Assemblée générale des Nations unies fin septembre. « Le XXIᵉ siècle sera de plus en plus multipolaire. Pour rester pacifique, il doit être multilatéral », a-t-il martelé. Cet axe central de la politique étrangère brésilienne a retrouvé toute son importance face à la montée des tensions internationales. Dans un monde très crispé, le Brésil se félicite d’entretenir de bonnes relations avec tous : l’Occident, mais aussi la Chine, la Russie et d’autres pays du « Sud global ». Une posture d’équilibre dont le pays espère tirer parti lors de la COP30 à Belém, du 10 au 21 novembre.
Pour le Brésil, l’organisation de la réunion la plus importante dans les négociations internationales sur le climat revêt une importance fondamentale. « C’est une manière de rétablir la position du Brésil sur la scène mondiale », souligne Flavia Loss, professeure de relations internationales à la Fondation de l’École de sociologie et de politique de São Paulo. Depuis les années 1990, l’agenda environnemental a permis au pays de se distinguer. Le sommet de la Terre, organisé à Rio en 1992, avait donné lieu à la création de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), dont l’organe suprême est la COP. Au cours des décennies suivantes, l’environnement est devenu un pilier de la politique étrangère brésilienne.
Une série de mesures en faveur de l’environnement
Cette crédibilité a été gravement entamée durant le mandat du prédécesseur de Lula, l’ex-président d’extrême droite Jair Bolsonaro. L’impunité face aux crimes environnementaux avait conduit à une forte augmentation de la déforestation, principal facteur des émissions de gaz à effet de serre du pays. Lula a inversé cette politique en rétablissant la protection de l’Amazonie, en créant un ministère des peuples indigènes et en annonçant l’objectif d’éliminer toute déforestation d’ici 2030. Résultat : la déforestation a régressé de 32,4 % en 2024 par rapport à 2023, après déjà un recul de 11,6 % en 2023 par rapport à l’année précédente.
Grâce à cette inversion, les émissions de gaz à effet de serre ont, elles aussi, diminué de 12 % en 2023 par rapport à 2022 – la baisse la plus importante depuis 2009. Le Brésil dispose de l’un des mix énergétiques les plus décarbonés au monde : en incluant l’hydroélectricité, historiquement très développée, les énergies renouvelables représentaient 50 % de l’approvisionnement énergétique total du pays en 2024, un chiffre qui grimpe à 88 % pour la seule électricité, selon le ministère de l’Énergie. Dans l’approvisionnement énergétique total, la biomasse de canne à sucre représente 16,7 %, grâce notamment aux activités de Raizen, une joint-venture entre Shell et l’entreprise brésilienne Cosan, spécialisée dans la production d’éthanol à partir de canne à sucre.
En novembre 2024, le Brésil a présenté sa nouvelle contribution déterminée au niveau national (CDN), exigée dans le cadre de l’accord de Paris. Il s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre entre 59 et 67 % d’ici 2035 par rapport à 2005. Un objectif bien plus ambitieux que la CDN présentée sous Bolsonaro, qui avait maintenu l’objectif de réduction de 37 % par rapport à 2005, fixé en 2015 avant l’accord de Paris.
Malgré cette feuille de route, la stratégie de Lula n’est pas exempte de contradictions. Actuellement huitième producteur mondial de pétrole, avec 3,4 millions de barils produits en moyenne par jour en 2024, le Brésil souhaite encore augmenter sa production notamment en ouvrant une nouvelle frontière pétrolière non loin de l’embouchure du fleuve Amazone. Un projet conduit par l’entreprise publique Petrobras, véritable fierté nationale, qui plaide ardemment en sa faveur contre les défenseurs de l’environnement.
Autre point noir : le puissant secteur de l’agro-business, longtemps pilier majeur de la croissance de la neuvième économie mondiale. Il contribue également à la déforestation, aux émissions de gaz à effet de serre, ainsi qu’à la dégradation des sols. JBS, fleuron de l’industrie agroalimentaire, est régulièrement accusé d’acheter du bétail provenant d’exploitations pratiquant illégalement la déforestation de la forêt amazonienne.
Ironie du sort : c’est précisément ce secteur qui est lourdement frappé lors des événements climatiques extrêmes, de plus en plus nombreux. Sécheresse et incendies en Amazonie, dans le Cerrado et le Pantanal, inondations massives dans l’État de Rio Grande do Sul, canicules : les conséquences du réchauffement climatique se font ressentir dans toutes les régions du cinquième plus vaste pays de la planète, affectant la production de produits clés comme les oranges et le café. Le secteur agricole a ainsi connu un recul en 2024, malgré les efforts du gouvernement pour stimuler l’agro-industrie durable et les biocarburants. Ce sont ainsi surtout les services et l’industrie qui ont soutenu l’activité économique, permettant une augmentation du PIB de 3,4 % en 2024, en hausse par rapport aux années précédentes où il évoluait à un rythme autour de 3 %.
Le contexte géopolitique va peser sur la COP30
Pour Lula, qui met souvent en avant l’environnement et la transition énergétique lors de ses discours sur la scène internationale, une COP réussie à Belém revêt une importance particulière. Mais la conjoncture géopolitique n’a plus rien à voir avec le contexte fédérateur qui avait permis d’aboutir à l’accord de Paris il y a dix ans. Aux nombreux conflits armés en cours s’ajoute la guerre commerciale déclenchée par Donald Trump, qui met à mal le multilatéralisme.
Le Brésil en a récemment subi les foudres. Mi-juillet, le président américain a imposé des droits de douane de 50 % sur des produits brésiliens, dénonçant le procès de Bolsonaro qu’il qualifiait de « chasse aux sorcières ». Bolsonaro a été condamné le 11 septembre à vingt-sept ans et trois mois de prison pour tentative de coup d’État. Lula, pour sa part, a adopté un ton résolument souverainiste. « Il n’y a aucune justification aux mesures unilatérales et arbitraires prises contre nos institutions et notre économie… Notre démocratie et notre souveraineté ne sont pas négociables », rappelait-il encore à l’Assemblée générale de l’ONU.
Un affrontement qui depuis est retombé de quelques crans. Les deux présidents ont renoué lors d’un bref échange en marge de l’Assemblée générale de l’ONU puis ont échangé lors d’une visioconférence le 6 octobre. Lula s’est même réjoui sur le réseau social X de « renouer des liens amicaux » ! Et des discussions sur les surtaxes douanières sont prévues entre les deux administrations.
La politique de non-alignement perdure
Mais alors que Bolsonaro avait suivi Trump de manière quasi systématique lors de son mandat, beaucoup estiment qu’il est plus avantageux pour le Brésil de maintenir le dialogue avec tous ses partenaires. Cette philosophie de non-alignement est ancrée dans la perception du Brésil comme puissance moyenne, qui a tout intérêt à se tenir à l’écart des conflits entre grandes puissances.
Ce jeu d’équilibriste du Brésil est devenu plus périlleux depuis l’accentuation des divisions entre puissances, notamment depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022. L’Occident aurait voulu que Lula condamne sans ambiguïté la Russie, alors que l’ancien syndicaliste a parfois renvoyé dos à dos les deux pays, estimant que la responsabilité de la guerre était partagée. Lula a soutenu que cette neutralité était nécessaire pour se présenter comme un possible médiateur. Le pays a même présenté avec la Chine un plan de paix. Mais beaucoup soupçonnent que la réticence du Brésil à prendre parti pour l’Ukraine s’explique en partie par sa forte dépendance aux engrais russes pour son puissant secteur agroalimentaire : environ un quart des importations d’engrais du pays sud-américain proviennent de Russie.
La Russie et le Brésil sont membres fondateurs des BRICS depuis 2009, mais l’élargissement du groupe en 2024, incluant l’Iran, a renforcé son image anti-occidentale. Une posture souhaitée par Moscou et Pékin, mais à laquelle s’opposent New Delhi et Brasilia, historiquement plus proches de l’Occident.
Le Brésil ne compte pas pour autant s’éloigner des BRICS, car ce forum est un lieu important où se conjuguent les demandes des pays du « Sud global », notamment sur les enjeux climatiques et la réforme des institutions internationales. « Lula a commencé à se rapprocher du “Sud global” parce qu’il a compris qu’il ne sortait jamais gagnant des discussions avec les grandes puissances », explique Bruce Scheidl, chercheur au groupe de recherche sur les BRICS de l’Université de São Paulo. « Il s’est tourné vers ces partenaires émergents pour qu’ils unissent leurs forces. »
Priorité aux accords commerciaux

Depuis 2023, Lula s’est fait le porte-parole de demandes des pays du Sud lors du G20 à Rio en 2024, puis lors du sommet des BRICS. Mais, selon Roberto Goulart Menezes, professeur de relations internationales à l’Université de Brasilia, ces batailles et les grandes questions internationales ont finalement été moins centrales dans la politique extérieure du Brésil qu’entre 2003 et 2009, lors des deux premiers mandats de Lula, face aux difficultés à faire entendre la voix du pays. Un dossier résume bien cette difficulté à s’imposer : le Venezuela.
Lula a investi une énergie politique considérable auprès de son homologue Nicolas Maduro. Les accords de la Barbade, négociés en octobre 2023 avec l’aide du Brésil, prévoyaient que le Venezuela libère des opposants politiques et organise des élections libres, en échange d’une levée partielle des sanctions imposées par les États-Unis. Après la réélection contestée de Maduro en juillet 2024, le Brésil a tenté de négocier une issue avec la Colombie et le Mexique comme partenaires. Sans succès.
Un regard pragmatique s’est alors imposé. « Le Brésil a fait un pas en arrière et en est venu à considérer la politique étrangère avant tout comme un moyen d’accroître ses exportations et de conclure des accords commerciaux », estime M. Goulart Menezes. Ce paradigme avait déjà conduit à un net rapprochement avec la Chine. Selon la professeure Flavia Loss, la puissance asiatique a comblé un vide laissé par le désintérêt des États-Unis et de l’Europe. La Chine est devenue le premier partenaire commercial du Brésil depuis 2009 (lire article sur la Chine).
Dans ce contexte, l’accord commercial négocié entre l’Union européenne et le Mercosur, encore à ratifier des deux côtés, a une importance stratégique pour le Brésil. En septembre, le Mercosur a également signé un accord avec quatre pays européens non-membres de l’UE (l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse). Le Brésil cherche aussi à étendre ses accords avec le Mexique et l’Inde : après l’imposition unilatérale de droits de douane par Trump, le pays a redoublé d’efforts pour développer ses partenariats.
Dans quelques jours, Lula – et le monde – joueront gros à Belém. L’ancien syndicaliste arrivera renforcé sur le plan intérieur après avoir fait adopter une grande réforme fiscale qui lui vaut le soutien des classes moyennes à moins d’un an de la prochaine élection présidentielle. Sur le front international, il a prévenu à la tribune de l’ONU : ce sera la « COP de la vérité », le moment où les dirigeants mondiaux devront prouver le sérieux de leur engagement envers la planète. Il compte en profiter pour redonner de la vigueur au multilatéralisme : « Dans l’avenir que le Brésil envisage, il n’y a pas de place pour la résurgence des rivalités idéologiques ni pour les sphères d’influence. »
Le pays a des cartes en main. « Grâce à sa position géopolitique, à l’engagement du président Lula et à la qualité de la présidence de la COP, le Brésil est bien placé pour bâtir des consensus et inciter les États, les acteurs non gouvernementaux ainsi que les entreprises publiques et privées à agir dans la même direction », estimait Laurent Fabius, président de la COP21, dans une interview à Libération. Reste à savoir si le Brésil parviendra à imposer sa ligne de conduite ou si la conférence sera vidée de son contenu par des différences irréconciliables entre les pays.
Éléonore Hughes